Stephane Mercurio • La parole aux invisibles

Du 10 janvier 2024 au 16 mars 2024

“Est-ce que tu crois en la justice ?” C’est par cette question de Stéphane Mercurio que commence Envies de justice, un moyen métrage sur une permanence juridique à la mairie de Bondy qu’elle tourne en 2000. “Passez du masculin au féminin”, demande-t-on au début de L'Un vers l'autre (2019) à une personne trans qui figure dans la pièce de théâtre de Didier Ruiz. De simples questions qui font que nous nous trouvons immédiatement au cœur du récit. On aurait tort d'affirmer que cette entrée directe dans le sujet soit imposée par le format du film. Certes, Stéphane Mercurio s’exprime fréquemment à travers le court et le moyen métrage où le temps est limité. Mais ce n’est pas tant le format ni le temps qui déterminent la narration, c’est la réalisatrice, son envie et sa capacité d’aller droit à l’essentiel. Cherche avenir avec toit (1997), son deuxième film (fruit de plusieurs années auprès des personnes sans domicile, d’abord avec le DAL - droit au logement - puis en créant un journal avec d’autres sans-abris, La Rue) commence avec une scène bouleversante où l’ancien SDF David montre à la réalisatrice l’endroit où il a dormi dans la gare, alors que ses parents habitaient juste en face et refusaient tout contact avec lui. Deux minutes trente suffisent pour comprendre la tragédie d’une vie. Le début d’À côté (2007), son premier long métrage pour le cinéma et le premier de cinq documentaires réalisés sur le milieu carcéral, est encore plus puissant. En moins d’une minute trente, à travers une série de photos nocturnes de Grégoire Korganow, accompagnée d’une bande-son très évocatrice, tout l’espace physique (et mental) du film est déployé : un centre d’accueil à côté de la prison pour les proches de prisonniers - surtout leurs femmes, Pénélope des temps modernes. On ne verra jamais l’intérieur de la prison, mais sa présence est tangible dans chaque scène. Cette simplicité, cette économie de moyens où tout a son sens et sa place, permet à la réalisatrice de nous entraîner dans ses rencontres avec SDF, femmes de détenus, anciens prisonniers, personnes trans. C’est avec ces invisibles (ou presque), qu’elle construit son cinéma très particulier, un cinéma de la nécessité, plein d’empathie, pudique où l'intime vire à l'universel. Ces histoires individuelles ou collectives questionnent la société, dit-elle. Au fond, j'aimerais changer le monde à chaque film.

Pourtant, le cinéma n’est pas tout de suite apparu comme une évidence dans la vie de Stéphane Mercurio qui s'en est expliqué : Après de très longues études en droit, contre toute attente, je ne serai pas juriste mais cinéaste. Dans la réalisation de cette vocation, plusieurs personnes ont joué un rôle décisif. D'abord le réalisateur Christophe Otzenberger qui lui fait découvrir le documentaire et avec qui elle restera en contact jusqu’à sa mort ; la productrice Viviane Aquilli, qui va littéralement la chercher pour Cherche avenir avec toit (1997) et qui l’accompagne encore aujourd’hui. C’est Viviane notamment qui encourage Stéphane à porter la caméra pour À côté. Il y a encore la monteuse Françoise Bernard, qui l’accompagne depuis 2002 et qui a monté sept de ses films, contribuant ainsi au style narratif de Mercurio. Et puis il y a Didier Ruiz, metteur en scène d’un théâtre qui travaille essentiellement avec des non-professionnels, des personnages que l’on pourrait retrouver dans les films de Stéphane Mercurio. Elle le rencontre en 2015, réalise trois films avec lui - Après l’ombre (2017), Une si longue peine et L’Un vers l’autre (2019), puis lui consacre même un ciné-portrait : Ce qui me lie à l’autre, le théâtre de Didier Ruiz (2022). C’est le moment où le travail de la réalisatrice prend une nouvelle couleur, plus théâtrale, avec une parole qui prend encore plus d'ampleur. On retrouve cette même dimension dans un autre film court de la réalisatrice de la même période qui n’est pas lié à un spectacle de Ruiz : Les Habits de nos vies (2023) et même dans Quelque chose des hommes (2015, réalisé juste avant leur rencontre). Serait-ce une nouvelle phase artistique qui s’ouvre alors pour Stéphane Mercurio ? Ce n’est pas certain, car elle continue parallèlement à réaliser des films dans des décors naturels, dont Petits arrangements avec la vie (2017, produit par Alexandre Hallier), une co-réalisation avec Christophe Otzenberger qui souffre d’un cancer et se sait condamné. Elle s’essaie au documentaire sonore et même à la fiction. On voit une cinéaste en plein essor de ses moyens cinématographiques, s'exerçant dans plusieurs domaines..

Dans cette évolution, un thème monte doucement à la surface : sa propre vie. Pendant longtemps, elle est restée “La femme à la caméra” qui filme des personnages dont elle se sent proche mais qui sont extérieurs à sa vie privée. Une première exception à cette règle est Mourir ? Plutôt crever ! (2010), où l’on découvre le dessinateur Siné, son propre beau-père, ainsi que sa mère Catherine Sinet. Une dizaine d’années plus tard, Catherine devient personnage dans Les Habits de nos vies ainsi que la fille et le fils de Stéphane Mercurio, Tania et Marco. Pendant le confinement, elle filme Tania et sa meilleure amie, Bérénice - un work in progress projeté lors de la soirée d’ouverture. Et surtout, elle envisage aujourd’hui de faire une autofiction autour de la question de l'âge des femmes. Lors de cette première grande rétrospective consacrée à Stéphane Mercurio, un hommage sera rendu à Christophe Otzenberger, l’ami constant et l’inspirateur du début de sa carrière, à travers la projection de cinq de ses films.

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