À la rencontre du réseau #6 : Marie Carrez Cinémathèque de Bretagne (Brest)

La Cinémathèque de Bretagne a été fondée il y a 37 ans en tant qu'association, à l'initiative de plusieurs personnes, dont le cinéaste René Vautier, dans le but de préserver la mémoire filmée de la région bretonne. Elle est basée à Brest, à Rennes et à Nantes et a récemment intégré au réseau de la Cinémathèque du documentaire en juillet 2023. J'ai rencontré Marie Carrez, chargée de programmation et d’action culturelle dans les locaux de la Cinémathèque de Bretagne, pour échanger sur le fonctionnement de l'institution. Elle m'a ensuite guidé à travers leurs locaux, me permettant de découvrir leur fonds d'archives ainsi que leur collection d’appareils cinématographiques.

Quelle est la spécificité de la Cinémathèque de Bretagne et de son fonds d’archives ? 

La particularité de la Cinémathèque de Bretagne réside dans sa grande collection de films amateurs. La volonté initiale était de réunir et préserver ces films présents chez les particuliers. C’est là qu’un groupe de passionnés de cinéma, de l’éducation populaire et de militants, s'est lancé dans une quête à travers la Bretagne et la Loire-Atlantique pour rassembler ces films d’archives, aboutissant à une collection de plus de 2 800 films en 1992 qui n'a cessé de croître depuis. Le premier film date de 1910. Actuellement, cette collection compte plus de 50 000 supports, comprenant des formats argentiques, vidéos et bandes sonores. Elle comprend une variété de documentaires, de fictions, d'animations, d'œuvres expérimentales et de rushes. Parallèlement à ces films amateurs, la Cinémathèque de Bretagne collecte les productions professionnelles, puisque tous les films financés par la Région Bretagne y sont déposés. En fait, la Cinémathèque de Bretagne, mission d'intérêt général, permet de conserver la mémoire filmée de la Bretagne. Les différentes missions sont le collectage des films, la numérisation grâce à un scanner, l’indexation dans une base de données DIAZ, la documentation puis la valorisation à travers des projections, le site internet et la vente d'images. De nouveaux films sont en accès libre et gratuits sur le site internet, et à ce jour, il y en a environ 10 000. Ainsi, faute d'avoir une salle de cinéma à la Cinémathèque de Bretagne, nous privilégions les projections itinérantes et la possibilité de voir les films en ligne pour promouvoir nos collections. De plus, la Cinémathèque de Bretagne détient l'une des plus grandes collections d'appareils cinématographiques avec actuellement plus de 2 500 appareils. Et chaque mois, nous recevons de nouveaux films et appareils à collecter. 

En tant que programmatrice comment valorisez vous les films de votre fond et quelle place faites vous au documentaire au sein des programmations ? 

À la Cinémathèque de Bretagne, nous intervenons à la fois en Loire-Atlantique et en Bretagne. Nous sommes trois responsables de la programmation à Nantes, Rennes et Brest. La programmation s’étend sur une saison culturelle d'octobre à juin. Nous puisons dans nos collections et nos centres d'intérêt, en tenant compte du territoire, des dates anniversaires, de l’Histoire du cinéma amateur et de nos divers partenaires pour proposer des programmes, des projections, des ciné-concerts… Nous aimons associer les arts vivants aux archives, d'où notre collaboration avec des artistes (musique, danse, poésie…). Nos archives sont mises à disposition des structures, des collectivités, des festivals intéressés par telle ou telle thématique. Nous pouvons orienter nos partenaires vers les collections adéquates. Le documentaire occupe une place prépondérante dans presque tous nos programmes, car il offre un ancrage territorial fort sur de nombreuses problématiques actuelles ou passées, telles que l'agriculture, le sport ou encore les métiers traditionnels. Nous nous appuyons largement sur les documentaires réalisés par des cinéastes amateurs pour témoigner de faits et de situations, pour les transposer à des enjeux contemporains et futurs. Ces documents nous incitent à réfléchir sur le passé et sur les raisons de notre situation actuelle. Par exemple, nous avons récemment organisé une rétrospective sur les pollutions, avec un programme mensuel composé exclusivement de documentaires sur les marées noires, la pollution sonore, la destruction des littoraux, ou encore l'alimentation. Nous invitons régulièrement des intervenant.e.s en lien avec la thématique, ou des cinéastes amateurs et professionnels. C'est ainsi que nous reconnaissons l'importance du documentaire pour utiliser le matériel existant et mettre en lumière des archives moins diffusées dans les cinémas. Cela reflète une histoire, et bien d'autres choses encore.

Où les projections de la Cinémathèque de Bretagne se déroulent-elles ?

Notre volonté est de valoriser les films et le cinéma auprès de nombreux publics. Il est possible de travailler avec des cinémas mais nous souhaitons aussi intervenir dans d’autres lieux tout en collaborant avec des structures pour élaborer des projets conjoints. Les lieux avec qui nous travaillons ont une connaissance approfondie de leur territoire. Nous travaillons avec de nombreux partenaires tels que le Musée de Bretagne, le Théâtre National de Bretagne, l'Écomusée de la Bintinais, Les Champs Libres et les Archives départementales de Loire-Atlantique. Nous travaillons également avec les associations porteuses de festivals de cinéma (Travelling, Pêcheurs du monde, Douarnenez, Réelles) Sur Brest, nous diffusons des films dans des lieux sociaux culturels comme des cafés, des tiers-lieux, des maisons d'arrêt, des centres sociaux ou des EHPAD. 

La Cinémathèque de Bretagne est en quelque sorte garante de la mémoire, de l’Histoire et de la langue bretonne. Comment partagez vous cela avec les breton.ne.s ? Quelles actions culturelles menez-vous ? 

Nous nous efforçons d'aller au-delà de simples projections. En s’associant aux nombreuses mairies et collectivités, nous souhaitons mettre en avant des images de leur territoire dans le cadre d'un projet appelé mémoire locale permettant de valoriser les archives auprès des personnes d’un territoire, les documenter et collecter de nouveaux films. Dans le cadre de ces mémoires locales, ce sont les acteurs locaux qui conçoivent souvent leur programme grâce à leur connaissance. Nous lançons un appel à collecte de témoignages pour que les individus d’un territoire nous aident à documenter et contextualiser les films. Tout le travail de mémoire réside dans ces actions. Concernant la culture bretonne, Mevena, salariée parlant le breton, se charge de la valorisation des films en breton sur le site internet et permet d’intégrer la Cinémathèque de Bretagne dans le réseau breton pour défendre la langue et sa culture.

Pouvez-vous me décrire le fonctionnement interne de la Cinémathèque de Bretagne ? 

Chacun.e d'entre nous à des profils et des fonctions différentes qui sont essentielles pour la Cinémathèque de Bretagne. Lorsqu'une personne vient nous déposer un film, elle rencontre nos collecteurs. Nous prenons rendez-vous pour regarder les images, car il est nécessaire qu'elles présentent un intérêt patrimonial, matrimonial ou historique. Ensuite, nous décidons de conserver ou non le fonds, avec la signature d'un contrat de cession des droits pour que le film puisse être préservé, numérisé, diffusé et mis en ligne selon la volonté du déposant ou de la déposante. Les personnes restent propriétaires de leurs films. Une fois cette étape de collecte terminée, le film est nettoyé, recollé si nécessaire, puis numérisé. Nous effectuons également un travail sur le son et l'image, y compris l'étalonnage. Ensuite, nous créons comme une fiche d’identité du film dans notre base de données DIAZ, comprenant des informations biographiques et contextuelles. Nous avons aussi la volonté de former des jeunes aux métiers de l’archive et de la technique. Depuis plusieurs années, nous accueillons des personnes en stage et service civique. Et cette année, deux apprenti.e.s ont rejoint l’équipe.

Depuis le covid, il est possible de consulter une partie des films en ligne en accès libre sans adhésion à la Cinémathèque de Bretagne. 

Effectivement, avant le confinement, nous avons pris la décision de rendre une grande partie des films accessibles en ligne. Certains films, soumis à des droits, sont accessibles en adhérant à la Cinémathèque de Bretagne. Nous avons enregistré une explosion des chiffres de visionnage sur notre site pendant cette période puisque les gens avaient le temps de voir des films dont certains sur des lieux familiers ou de leur enfance. Nous avons également organisé des projections en ligne, ce qui a contribué à faire connaître la Cinémathèque de Bretagne et ses collections. En conséquence, cela a généré une augmentation des demandes et une belle valorisation des archives filmées. Depuis, certains films sont accessibles en ligne à tous les usagers permettant de donner vie aux images d'une manière différente et de permettre à plus de monde de les découvrir.

D’où proviennent vos demandes ? 

Nous recevons une centaine de demandes par an pour organiser des projections sur le territoire, en France et à l’étranger. Nous répondons aussi à des demandes de vente d’extraits d'archives de sociétés de production pour la réalisation de films, ce qui constitue une mission importante de l'activité de la Cinémathèque de Bretagne. Nous pouvons vendre ces extraits à des chaînes telles que France 3, Arte, Netflix ou des télévisions locales.

L’Année du documentaire, a-t-elle mis en mouvement votre fond ?

Cette année, nous avons observé une croissance significative des demandes ne provenant pas uniquement de la Bretagne (Marseille, Paris, Londres, Allemagne, Bruxelles, Italie...). Grâce au réseau de la FIAF (Fédération internationale des archives du film) et d’INÉDITS, nous bénéficions de nombreux collaborateurs potentiels. Notre constat est que nos locaux commencent à devenir exigus car tout ce qui est collecté à Rennes et Nantes arrive ici. Actuellement, nous aspirons à disposer d'un nouvel espace, idéalement doté d'une salle de projection et d'un lieu de stockage pour les appareils qui nous sont confiés.

Quel rôle joue la Cinémathèque du documentaire pour la Cinémathèque de Bretagne ? En tant que nouveau membre, quelles seraient vos attentes ?

Nous avons souhaité nous joindre au réseau de la Cinémathèque du documentaire afin de faire partie d'un collectif d’acteurs culturels, qui peut être comparable à celui des cinémathèques et de la FIAF. Cela nous permet de faire partie d'une communauté partageant les mêmes objectifs, de rencontrer d'autres professionnel.le.s et d'échanger des expériences, ce qui est très important pour nous. Grâce à des réseaux comme celui de la Cinémathèque du documentaire, nous pouvons bénéficier de savoir-faire, de pratiques, de personnes et de structures solidement ancrées dans le territoire, ce qui favorise la création, les échanges, et nous rappelle que nous ne sommes pas seul.e.s, tout en stimulant notre créativité. Lorsque des collaborations communes se mettent en place, cela amplifie notre impact. Par exemple, il serait fantastique d'envisager des projets communs avec nos homologues des autres cinémathèques sur le thème du documentaire, et de faire circuler ces initiatives au sein du réseau. Chacun de nous a ses spécificités, ce qui rend les échanges enrichissants. Par exemple, depuis quatre ans, avec le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir, nous organisons une programmation thématique à Rennes sur le travail des femmes dans des domaines tels que la mer, l'agriculture, la sexualité, etc. Avec Ciclic, nous avons mutualisé nos archives maritimes pour les Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Cela nous permet de découvrir les collections des autres structures et de  chaque programmateur.rice avec des approches différentes (sociologiques, historiques, géographiques, anthropologiques…), ce qui est bien entendu très enrichissant. Lorsque nous mutualisons nos compétences, nous sommes capables de réaliser de belles choses. Ainsi, nous aspirons à une dynamique collective et de partage ! Depuis le confinement, nous avons commencé un travail de recensement des réalisatrices de notre fonds qui ont été largement ignorées pendant de nombreuses années, pour diverses raisons. Nous souhaitons également valoriser ce travail, et je suis convaincue qu'il existe de nombreux autres films qui pourraient s'inscrire dans cette thématique au sein des autres cinémathèques du réseau, et ainsi réfléchir ensemble à la manière de mettre en lumière ces réalisatrices amateurs qui ont souvent été reléguées dans l'ombre. Oui, il y a beaucoup de choses à accomplir !

 

Entretien et photos réalisés par Carla Le Touzé chargée de communication à la Cinémathèque du documentaire.

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