Du 7 septembre 2022 au 17 novembre 2022
On a souvent montré les réalisations de l’Office national du film canadien (ONF) comme des jalons dans l’évolution des pratiques documentaires. Des cinéastes se sont démarqué.e.s, au Canada comme à l’étranger, et certains films représentent aujourd’hui des références majeures. Les débuts du candid eye, qui ont mené vers ce qu’on appelle le cinéma direct, apportent un souffle nouveau, accompagné par des changements techniques et des réflexions théoriques sur la méthode documentaire et les relations complexes entre cinéastes et personnes filmées.
Toutefois, au cours de cette saison, il s’agit d’aller au-delà de cet héritage. Cette programmation nationale prend comme point de départ l’immensité du territoire et la diversité des communautés qui y vivent, pour tenter de saisir quelque chose des enjeux canadiens, en les observant de divers points de vue. Il s’agit d’associer un film court à un film long afin de créer un écho et faire résonner des paroles à travers les âges et le pays.
Le cycle propose de mêler les cinéastes les plus connu.e.s à une relève en mouvement, faire dialoguer francophones et anglophones, jumeler des films autochtones et allochtones. L’idée est de créer des liens, provoquer des discussions, à travers le cinéma, afin de voir qu’au sein d’un même territoire, des voix se répondent, se posent des questions d’un même ordre, à des échelles différentes. Comment habiter un lieu ? Comment nommer ce qui nous entoure pour le transmettre ?
Et comment faire société ? Avec ces vastes interrogations, on traverse les provinces canadiennes en rencontrant des problématiques telles que le rapport à la terre, l’attachement à la langue, la transmission d’une culture, les conditions de travail, le cadre des institutions, les luttes pour la reconnaissance ou l’égalité, l’installation sur le territoire…
Il s’agit de se frayer un parcours, entre pépites et classiques, entre ancien et récent, pour tenter de dessiner à grands traits le portrait d’un Canada complexe, qui a la volonté de se décrire et de s’inventer à travers des formes cinématographiques toujours dynamiques.
Ce besoin de cinéma se retrouve dès l’ouverture : Rien sur les mocassins d’Eden Awashish comme L.A. Tea Time de Sophie Bédard Marcotte montrent la volonté des réalisatrices de faire un film, envers et contre tout. Avec elles, on se heurte à divers obstacles, et notamment au silence, mais on garde espoir dans les capacités d’expression et de transmission du cinéma.
Un cinéma nécessaire, comme moyen d’affirmation, d’action, d’intervention est placé au cœur des séances spéciales. On valorise notamment le programme Challenge for Change de l’ONF, initiative qui met le cinéma direct au service des objectifs de changement de la communauté. C’est au sein de ce programme que se constitue la première équipe autochtone de l’ONF, l’Indian Film Crew dont font partie Willie Dunn et Michael Kanentakeron Mitchell. Est également présentée l’initiative menée sur l’île Fogo (Terre-Neuve) par Colin Low à la fin des années 1960 : un projet qui souhaite faire entendre les problèmes vécus par les habitant.e.s d’un lieu reculé.
Plus récemment, les actions menées par Wapikoni Mobile depuis sa fondation par Manon Barbeau en 2004, œuvrent aussi à faire du cinéma un moteur de changement. En plus d’être pour et avec les nations autochtones, les films sont réalisés par les membres des communautés, la réalisation devenant un véritable outil de gestion de crise, de thérapie, « d’empuissancement ».
Ce long périple cinématographique permet donc de découvrir les multiples visages d’une société traversée par de grands déchirements. Le cinéma documentaire accompagne luttes, remises en question, prises de conscience. Il fait entrevoir des manières de communiquer, de vivre et de faire ensemble, au Canada.
Marion Bonneau
Programmatrice du cycle