L'œuvre d'Esther Hoffenberg au cœur d'un partenariat entre la BnF et La Cinémathèque du documentaire en 2022
Dans le cadre d'un travail conjoint de valorisation de l’œuvre d’Esther Hoffenberg, réalisatrice de films documentaires et créatrice de la société de production Lapsus, La Cinémathèque du documentaire met à disposition auprès de son réseau deux corpus de programmation piochant dans l'œuvre riche et diversifiée de plus de 50 films de la cinéaste et productrice.
Cette collaboration avec la BnF s'appuie sur deux temps forts :
- La publication d’entretiens audio menés en septembre avec la productrice et cinéaste, bientôt disponibles sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.
- La proposition auprès du réseau de la Cinémathèque du documentaire de deux corpus de programmation réalisés par Violette de La Forest, étudiante en valorisation des patrimoines cinématographique et audiovisuels à l'Université Paris VIII, reprenant alors des oeuvres réalisées et/ou produites par Esther Hoffenberg : Portraits de femmes & Politiques coloniales et résistances.
PORTRAITS DE FEMMES
Réalisations
- Les deux vies d’Eva, 2005 (85min)
- Discorama, signé Glaser, 2007 (67min)
- Violette Leduc, la chasse à l’amour, 2013 (57min)
- Bernadette Lafont, et Dieu créa la femme libre, 2016 (65min)
Productions
- Charlotte : "Vie ? ou théâtre ?", Richard Dindo, 1992 (64min)
- Une Étoile et moi, Mathilde Mignon, 2001 (59min)
Ces six films sont dédiés à des portraits de femmes, d’origines diverses et variées.
Charlotte Salomon, artiste peintre allemande et juive morte à Auschwitz en 1943 ; Fanny Gaïda, danseuse étoile de l’Opéra de Paris ; Eva Lamprecht, polonaise, allemande et protestante, qui se marie à un rescapé juif après la Seconde Guerre mondiale ; Denise Glaser, animatrice et productrice de l’émission Discorama diffusée sur la première chaîne de télévision française de 1962 à 1975 ; Violette Leduc, figure clé de la littérature féministe et lesbienne ; Bernadette Lafont, actrice française qui a fait de sa féminité un objet de puissance.
Six femmes de milieux différents, de nationalités différentes, aux vies différentes, et dont pourtant les films qui leur sont dédiés présentent des enjeux similaires.
Qu’ont-elles transmis autour d’elle, à leur famille, leurs enfants, leur public ? Quelles figures de femmes ont-elles incarné, quelles traces ont-elles laissé derrière elles ?
Chacun des films opère un retour sur les lieux clés de la vie de ces femmes. Les deux vies d’Eva se conclut par la visite de la ville de Sosnowiec en Pologne, qui a vu Eva grandir, par Esther Hoffenberg. La plupart des entretiens filmés pour Bernadette Lafont, et Dieu créa la femme libre ont été tournés auprès de ses petites-filles, dans leur maison familiale des Cévennes. Dans Violette Leduc, la chasse à l’amour, Esther Hoffenberg fait revenir certains amis de l’écrivaine dans son appartement.
Les films présentent donc une capacité immersive qui se caractérise par un retour géographique.
La mémoire semble s’établir par le lieu.
Au-delà des espaces de vies de ces femmes, la mise en place de ces biographies se fonde également sur un moment de restitution de leur parole, jusqu'à en faire un élément fondateur du récit. Cela passe par des extraits d'œuvres, des archives, des enregistrements, des entretiens, qui agissent comme les points de départ d'une réflexion plus globale sur la vie de ces artistes, de ces mères, de ces interprètes.
À partir de là se construit une dimension sensible au sein d'œuvres biographiques. Ceci est dû à l’utilisation abondante d’archives, à l’exemple des films de famille présents dans Les deux vies d’Eva ou dans Une Étoile et moi, et à leur mise en forme dans le contexte des films. Dans Discorama notamment, la vie de Denise Glaser se comprend en grande partie par le biais d’archives télévisuelles.
Cette dimension sensible s’établit également par les textes lus en voix-off qui, bien loin de dérouler chronologiquement des événements, se fondent au contraire sur le rapport intime que la cinéaste Esther Hoffenberg entretient avec ces femmes dont elle a voulu parler. Ceci à l’exception des films Charlotte, vie ou théâtre ? et d’Une Étoile et moi, qui ne sont pas signés par la cinéaste mais possèdent également une voix-off, venant guider tout le récit du film d’une manière tout aussi sensible. Les entretiens avec des proches de ces femmes renforcent cette dimension intime, remplaçant le rapport strictement historique par un rapport émotionnel.
Ces films investissent donc la forme du documentaire biographique d’une dimension émotionnelle et intime.
POLITIQUES COLONIALES ET RÉSISTANCES
- Chroniques du coq et du dragon, Patrick Barbéris, 1997 (51min)
- Missionnaire chez les Blancs, Jean-François Bastin & Isabelle Christiaens, 1998 (61min)
- Natal 71, Margarida Cardoso, 2000 (52min)
- Gaza, l’enfermement, Ram Loevy, 2002 (52min)
- Mozambique, journal d’une indépendance, Margarida Cardoso, 2003 (52min)
Ces cinq films ont en commun l’étude historique de politiques coloniales : celle de la France en Indochine, de la Belgique au Congo, du Portugal au Mozambique, ou encore de l’Etat d’Israël en Palestine.
À l’exception de ce dernier cas, les films font le lien entre la situation des pays au moment de la colonisation et les enjeux de reconstruction au moment de l’obtention de l’indépendance. Il s’agit pour ces pays de fonder des systèmes politiques, économiques et culturels nouveaux, mais également de mettre en place une mémoire de la colonisation et des résistances qui ont mené à l’indépendance.
Ces films questionnent un enjeu de taille s’agissant des états coloniaux : celui du rapport à l’image, que ce soit dans un cadre de communication, de dénonciation, de documentation.
Tous viennent mobiliser des images d’archives de différentes origines. Chroniques du coq et du dragon, par exemple, utilise ponctuellement des archives institutionnelles, labellisées Pathé ou Gaumont, firmes françaises nationales. Natal 71 met en relation les images diffusées par le gouvernement autoritaire de Salazar à des fins de propagande et dans lesquelles on peut voir des soldats joyeux et sereins, et les témoignages d’anciens soldats qui parlent des morts qu’ils ont vus au moment de la guerre d'indépendance du Mozambique face au Portugal.
Ainsi, une des questions centrales concerne le régime de l’image. D’où vient-elle ? Que cherche-t-elle à montrer ? De quelles instances politiques ou artistiques est-elle issue et quelles conséquences peut-on tirer de son origine ?
Ce sont d’ailleurs des questionnements que Ram Loevy expose explicitement dans Gaza, l’enfermement : “Est-il possible de voir les choses sans les symboles et les émotions dont nous les chargeons ? Est-il possible de les voir comme on les voit de l’autre côté ? [...] Mais un jour doit venir où il sera possible de voir une image pour ce qu’elle est.”, écrit-il dans son film. Cette interrogation sur l’image, sur sa capacité à dire la vérité, à la montrer, occupe chacune des œuvres ici. Cela explique la confrontation souvent faite entre différents types de discours recueillis au cours d’entretiens, différents acteurs et interlocuteurs, différents types d’images ; confrontation mise en forme par le montage.
Ces films ont également pour enjeu de faire discuter des individus directement impliqués dans les conflits dont il est question. Si les entretiens sont parfois complétés d’un commentaire historique, le témoignage personnel tient toutefois une place importante. Ainsi, sans chercher à faire un travail historiographique scientifique, ces films viennent au contraire recueillir la réalité des personnes touchées par ces politiques coloniales et autoritaires, afin de faire de l’expérience individuelle un outil historique.
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