Les Observatoires documentaires de Périphérie : un dispositif singulier d’éducation à l’image en milieu professionnel

Avec ses Observatoires documentaires, Périphérie accompagne la création de films collectifs réalisés dans le cadre professionnel. Depuis 2012, une quinzaine de films ont été réalisés par des équipes de crèches, de foyers, d’urbanistes, ou d’instituts de biologie en Seine-Saint-Denis. L’occasion de faire dialoguer pratique professionnelle et pratique cinématographique.

Comment représenter le travail à l’image et parler de sa pratique professionnelle ? Comment traduire le quotidien du travail en cinéma, sans dériver vers le film institutionnel ? Telles sont les équations posées à chaque nouvel Observatoire documentaire. Initié par Périphérie, structure de soutien à la création et la diffusion du cinéma documentaire basée à Montreuil, ce dispositif d’éducation à l’image atypique s’intéresse au travail et à la manière de le représenter à l’image. Il s’agit par la même occasion d’initier au cinéma documentaire des professionnels sans intérêt préalable pour celui-ci, et de les familiariser au langage cinématographique. 

Les Observatoires documentaires sont nés d’une demande du Conseil départemental de réaliser des projets culturels au sein de crèches de Seine-Saint-Denis. Le Genre idéal est le tout premier film créé dans ce cadre. Réalisé collectivement par le personnel de la crèche Bourdarias de Saint-Ouen entre 2010 et 2012, il mettait en lumière le projet pédagogique de promotion de l’égalité entre les filles et les garçons dès le plus jeune âge. Depuis, onze autres films ont été réalisés dans le cadre des Observatoires de Périphérie, et trois films sont encore en cours de tournage ou de montage. Au fil des rencontres et des échos produits par ces premières réalisations, les domaines d’activités se sont diversifiés : urbanisme, recherche en biologie cellulaire, PMI, foyers… Pour chaque Observatoire, l’équipe de Périphérie noue des relations de confiance avec les professionnel.le.s.

 

« Ce sont des films pour lesquels nous avons une affection très forte. Nous nous mettons au service de ces œuvres ».

 

Apprivoiser la caméra

Toute nouvelle participation aux Observatoires débute par un temps d’acclimatation. D’abord, des projections sont organisées avec les membres de la future équipe de réalisation. Assez rapidement, les cinéastes en devenir participent à des exercices pratiques pour commencer à apprivoiser le matériel d’image et de son. C’est aussi l’occasion de s’habituer à être devant et derrière la caméra. Les ateliers sont différents à chaque fois. Julien Pornet est en charge de la coordination du dispositif à Périphérie et du montage des films : il adapte la mise en pratique au domaine d’activité des professionnels et au rythme de travail. L’important étant de ne pas désorganiser les professionnel.le.s dans la pratique de leur métier. Parfois, les exercices fonctionnent si bien qu’ils apparaissent dans la version finale du film.

Périphérie accompagne chaque réalisation sur le temps long : au minimum deux ans de travail sont requis pour chaque film collectif réalisé dans le cadre des Observatoires. Ce temps est nécessaire pour que chacun trouve sa place dans le dispositif. Il l’est également du côté des accompagnants de Périphérie pour comprendre le fonctionnement et l’environnement de travail dans lequel ils s’insèrent. « Le lieu continue son activité quand nous y sommes. Il faut trouver des interstices où l’on peut s’immiscer pour organiser des temps de réunion, des projections sur le temps du déjeuner », précise Julien Pornet. Ce dernier est accompagné pour chaque projet d’un.e réalisateur.ice.

Se jeter dans le grand bain

Après le temps de la découverte arrive le tournage des premières images. Et avec, le vertige de devoir réaliser un film en partant de rien. Une pratique bien abstraite pour des professionnel.le.s de la petite enfance ou de la biologie. Le rôle d’accompagnement de Périphérie est précisément celui de rassurer et de guider l’équipe sans imposer une vision qui ne serait pas celle des personnes concernées. C’est un numéro d’équilibriste auquel s’adonne Julien Pornet : « Quand le film nous paraît s’éloigner du sujet, on pose des questions pour réorienter. Nous sommes comme les premiers spectateurs. Nos réflexions aident à étayer le sujet et faire ressortir des idées moins évidentes ». Parfois il est nécessaire de passer par l’écriture avant de commencer à filmer, mais généralement, tout devient plus concret lorsque le tournage débute. Un travail intuitif et progressif : d’où l’importance de prendre son temps.

Les accompagnateurs de Périphérie, de leur côté, restent vigilants à ce que tout le monde puisse prendre la parole et soit considéré au même niveau. Les prises de parole se font plus facilement du côté des directions que du côté des salariés. Il est important « de rééquilibrer la balance ».

Le pouvoir du montage

Vient ensuite le montage. Une étape importante de l’écriture du film, et l’occasion pour chacun.e de se mettre dans la peau du réalisateur en dérushant toutes les images tournées. Julien Pornet et le.a réalisateur.ice qui collabore sur le projet s’occupent de la partie technique qui demande une expérience plus approfondie et beaucoup de temps. Généralement, celui-ci s’étale sur 5 à 6 semaines. Cette étape est difficile à mener de manière collective. Conscient que c’est à ce moment que les professionnel.le.s risquent d’être dépossédé.e.s de leur film, Julien Pornet rappelle que le montage demande de rester attentif et de se mettre à la place des personnes filmées : « Il faut mener une réflexion éthique : tout ce qui est tourné n’est pas forcément montré. Il est important de faire attention à ne pas choisir des images des professionnels dans des situations inconfortables. Ils doivent être à l’aise avec ce qui apparaît à l’écran ». Des projections régulières sont organisées pendant cette étape. Par petits groupes, les réalisateur.ice.s en herbe peuvent donner leur avis et réorienter le récit à leur image.

La difficulté de cette réalisation tient aussi dans les frustrations qui peuvent naître : pour monter un film, il faut faire des choix. Le désir d’exhaustivité est souvent trahit par cette limite : on ne peut pas tout dire. Parfois, il faut évincer des éléments intéressants au service de la cohérence globale. C’est par la réflexion et la discussion collective que le récit prend forme.

Réfléchir le travail

Filmer le travail, c’est donner une dimension politique à la réalisation. La parole est attribuée à des individus occupant des postes indispensables à la société, mais que l’on entend pourtant peu : employé.es de la santé, du social, de la petite enfance… Les films montrent des gestes que l’on ne voit pas souvent. Les actions devenues mécaniques retrouvent leur beauté et leur sens dans l’objectif de la caméra. Ces réalisations collectives sont également l’occasion de questionner sa pratique, de décortiquer les dysfonctionnements au sein d’une profession, d’exprimer les difficultés rencontrées. Parfois, les Observatoires sont aussi l’occasion de retrouver le sens de son métier en reformulant à voix haute son utilité à la société, quelle que soit l’échelle. L’équipe est invitée à embarquer collectivement dans de nouveaux questionnements. Bien souvent, la cohésion de groupe en sort renforcée. D’autant plus que l’un des objectifs de Périphérie à travers ce dispositif est de renforcer l’horizontalité, de gommer les hiérarchies.

 

« Le fait de se sentir regardé et écouté aide les professionnel.le.s à se sentir en confiance ».

 

Un travail de diffusion

Depuis quelques années, Périphérie mène un travail de diffusion de plus en plus conséquent des films issus des Observatoires. Chaque film terminé donne lieu à une projection en avant-première, généralement dans un cinéma à proximité du lieu de travail, accessible aux personnes ayant participé à la réalisation du film ainsi que leurs proches. Certains films sont diffusés à plusieurs reprises, dans des lieux différents, d’autres sont même proposés en festivals… Leur vie ne se limite pas aux frontières de la Seine-Saint-Denis. La prochaine projection d’un film issu des Observatoires documentaires se tiendra le 7 février 2024 dans le cadre de la Carte Blanche à l’occasion des quarante ans de Périphérie.

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 Foyer de vie St-Louis #3, Villepinte 2017-2019
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L’île des possibles réalisé par l'association Halage, Île-Saint-Denis, 2019-2023
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Mixage du film Pour l'instant tout va bien réalisé à la PMI Madeleine Brès, Bobigny, 2019-2022
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 Urbanistes réalisé par le service urbanisme Est ensemble de Romainville, 2019 - 2024

Le 7 février 2024 à 18h30 au Musée national de l’histoire de l’immigration : projection de L’île des possibles (2023, 57’), film collectif réalisé dans le cadres des Observatoires documentaires mené par Antoine Vaton (Périphérie) et Béatrice Plumet (cinéaste) avec l’Association Halage.

L’île des possibles a été réalisé entre 2019 et 2023. Sur une ancienne friche de l’Île Saint Denis, l’association d’insertion professionnelle « Halage » forme aux métiers du jardin.

Entrée gratuite en s’inscrivant au lien suivant :

https://www.eventbrite.fr/e/billets-carte-blanche-les-quarante-ans-de-peripherie-777029685707?aff=oddtdtcreator&fbclid=IwAR3eCSKM3UwfWe5C1ygOZPxN8r_hQuKVy6XIgAuAeiqQ5ScF20RmFtIoVkU

Date de mise à jour :