À la rencontre du réseau LCDD #9 : Natalia Gómez Carvajal de Comptoir du Doc (Rennes)

Depuis sa création en 1998, Comptoir du Doc s'est imposé comme un acteur incontournable de la scène culturelle rennaise et de toute la région d'Ille-et-Vilaine. Son engagement en faveur du cinéma documentaire et de rencontres authentiques avec les cinéastes se traduit par une programmation diversifiée et des événements tout au long de l'année. De "Made in China" à "Ré·Elles", en passant par le Mois du Doc et bien d'autres initiatives, l'association tisse des liens avec les publics, les partenaires culturels et les cinéastes, faisant du documentaire un art vivant et accessible à tous.

Pourriez-vous me résumer quelle est la vocation de l'association ?

Comptoir du doc est une association née en 1998 à l'initiative d'un groupe de réalisateur·ices et passionné·es du cinéma documentaire, dans le but de visionner des films ensemble et de les partager. Notre objectif est de défendre un cinéma exigeant et créer les conditions de la rencontre et du dialogue avec les cinéastes. Attentif·ves à favoriser la diversité des publics, nous organisons sept événements répartis tout au long de l'année à Rennes et en Ille-et-Vilaine. Ce rayonnement s’appuie sur un développement de partenariats de diffusion variés et complémentaires, soucieux du croisement des publics et du dialogue entre divers champs artistiques et culturels. Comptoir du Doc tient par ailleurs à donner à chacun·e une place dans son projet. Tout adhérent·e peut ainsi devenir membre d’un groupe de programmation et sélectionner collectivement les films qui seront montrés lors des différents événements.

Qui était à l'origine de ce projet ? Pourquoi ce projet a-t-il vu le jour ?

Parmi ceux et celles qui étaient à l'origine du projet et qui sont encore membres du conseil d'administration, il y avait Bruno Le Roux et Yvon Guillon. Ils étaient monteurs, producteurs, c'était vraiment une bande de copains. Ils avaient envie de créer un ciné-club, de se montrer mutuellement ce qu'ils faisaient et de partager leurs propres réalisations. Ils voulaient aussi découvrir et partager avec le public des perles du cinéma documentaire. C'est vraiment dans les bars de Rennes que tout a commencé.

Comment l’association a-t-elle fait sa place à Rennes et plus largement en Ille-et-Vilaine ? 

Images de Justice est le premier festival mis en place par l’association. Il y a eu ensuite Doc au féminin il y a 21 ans et qui s'appelle maintenant Ré·Elles. À travers ces événements et d'autres qui ont suivi au fil du temps, notre présence s'est déployée, et nous avons commencé à établir de nombreux partenariats. Pendant près de 3 ans nous avons été implanté·es à La Parcheminerie, un ancien théâtre avec une petite salle de cinéma d’une centaine de places dans laquelle nous avons pu expérimenter beaucoup d’idées et envies : des projections très régulières, des partenariats avec d’autres champs artistiques, des masterclass, des propositions jeune publics… Cela nous a permis de tisser les liens avec le milieu associatif rennais et de renforcer notre vie associative locale. Le Mois du doc, quant à lui, favorise le travail à l’échelle du département et déploie des tournées en zones rurales.

Comment définiriez-vous le rapport des Rennais au documentaire et leur intérêt pour ce genre ? Avez-vous remarqué une augmentation du taux de fréquentation de ces séances depuis toutes ces années ?

Les Rennais ont un intérêt fort pour le cinéma en général, et le public répond favorablement à nos propositions. Il y a une activité culturelle intense avec de nombreux festivals en plus de ceux que nous organisons. Nous avons vu des salles avec plus de 150 personnes lors d'événements aux Champs Libres au moment du festival Ré-Elles, ce qui est très encourageant. Le Mois du doc, quant à lui, offre une spécificité en amenant le cinéma dans des petites communes qui ne disposent pas de salles de cinéma, ce qui permet de proposer d'autres expériences de cinéma. Un gros travail de communication a été initié il y a environ 4 ou 5 ans, et cela a considérablement contribué au fait que les gens ont identifié à la fois l’association et ses actions. La pluralité de nos programmations permet non seulement d’expérimenter et faire découvrir des propositions artistiques diverses mais aussi de toucher et croiser les publics, en divers lieux, contextes et territoires.  

Nous développons par ailleurs de nombreuses actions culturelles accolées à nos festivals qui peuvent prendre la forme d’ateliers de réalisation, de programmation et qui drainent d’autres publics.

Il y a une variété d'événements développés par Comptoir du doc. Comment cela s'organise-t-il tout au long de l'année chez vous ? Qui fait quoi ? Comment cela fonctionne-t-il ?

En effet, notre saison débute avec "Made in China" début octobre qui met à l’honneur le cinéma indépendant chinois. En novembre, nous poursuivons avec le Mois du Doc, coordonné par quatre associations de la région, dont Comptoir du doc pour l'Ille-et-Vilaine. Ensuite, nous poursuivons avec le festival Ré-Elles, cinéma documentaire et droits des femmes en partenariat avec la ville de Rennes et les Champs Libres. Nous nous réjouissons d'organiser cette année la reprise du festival “Vrai de Vrai - les étoiles de la Scam” au TNB. Depuis maintenant plus de dix ans nous menons un travail au long court dans le quartier de Maurepas qui aboutit cette année en mai par un festival participatif et convivial au cœur du quartier ”Des Histoires”. “Images de Justice” est un festival qui a la vocation d’interroger la justice par le biais du cinéma documentaire. La manifestation s’articule autour de projections, de rencontres, de tables rondes, de spectacles et d’expositions. Et chaque mois nous mettons en place un rendez-vous au cinéma Arvor “Revers” qui est né d’une envie d’allier documentaire de patrimoine et films d’autres horizons autour d’une même thématique avec l’idée de partager cette programmation avec d’autres partenaires dans une optique de croiser les regards. Pour organiser tout ça nous sommes une équipe de quatre permanentes, chargées de l’administration, de la coordination, de la communication et de la technique. Nous travaillons toute l’année avec sept chargé·es de programmation qui mènent un travail de fond qui va de la programmation à la mise en place des événements. Notre CA très investi lui aussi fait le lien avec les adhérent·es et mènent une réflexion transversale sur la politique de l’association.

 

Vos rendez-vous sont généralement accompagnés par les intervenant·e·s ?

Oui, pour nous, c'est vraiment l'essence même de nos événements : la rencontre. Nous tenons à partager avec le public le sentiment que le cinéma est quelque chose de concret et tangible. Sans cela, nous voyons bien que tout perd rapidement de son sens. Pour le public, c'est aussi l'occasion d'enrichir son expérience en ayant quelques clés supplémentaires, en exprimant ses opinions sur le film et en posant des questions sur les sujets qu'il évoque. Nous constatons que c'est ce qui incite les personnes à s’investir toute l’année dans l’association, puisque nous comptons plus de 200 adhérent·es. 

Le festival Ré·Elles vient de se terminer. Quels étaient les objectifs de ce festival ? Comment avez-vous choisi les films ? Quels étaient vos objectifs initiaux à travers cette programmation ?

La ville de Rennes a organisé toute une programmation pendant le mois de mars autour de la Journée internationale des droits des femmes. C’est dans ce cadre que nous proposons le festival “Ré·Elles” Tous les films sélectionnés pour le festival tournent autour de la question du genre, de l'égalité et des droits des femmes. Nous avons donné une grande priorité, mais pas exclusivement, aux réalisatrices et aux personnes minorisées. Nous avons vraiment essayé d'amener de nouveaux publics. Par exemple, le 8 mars, nous étions présent·es dans la manifestation, non seulement pour militer en faveur des droits des femmes, pour distribuer le programme du festival. Nous avons été très heureux·ses de voir au moment du festival une plus grande diversité au sein du public, que ce soit en termes d'origines, d'âges et même d'identité de genre. Nous sommes très fier·es de réussir cela petit à petit. Cette année, nous avons organisé aussi des projections de courts-métrages dans un petit lieu - à Transcanal - pour projeter des films plus expérimentaux et proposer un moment convivial. 

Qui a fait la programmation du festival Ré-Elles et de Vrai de vrai ? Comment choisissez-vous les films au Comptoir ? Tout adhérent·e peut devenir membre du groupe de programmation ?

Il y a une équipe permanente qui travaille sur tous les événements de Comptoir. Ensuite, pour chaque événement, il y a un responsable de programmation dédié, soit 7 au total. Chacun·e a des méthodes de travail différentes, mais cela consiste à repérer les films, à effectuer une présélection et à les proposer au groupe de programmation. Pour le festival Ré·Elles, il y a un repérage en festival, et une veille attentive réalisée par Natalia Gomez. Cette année, nous avons également lancé un appel à films pour la première fois. Nous avons regardé plus de 140 films pour proposer une sélection de 10 films à présenter lors des séances de programmation avec les adhérent·es. Ils en ont retenu 4 parmi ce corpus.

Comment attirez-vous les adhérent·es ?

Nous avons plus de 200 adhérent·es, de profils très variés. Nous communiquons sur le fait que les gens peuvent s'inscrire dans les groupes de programmation lors de l'Assemblée générale à la rentrée en septembre. Ce sont des moments de rencontre et de partage de regards passionnants. Par ailleurs nous proposons des formations, initiations aux techniques du cinéma, conférences en petits groupes, rencontres privilégiées avec des cinéastes, accessibilité à notre vidéothèque… C’est toutes ces propositions qui donnent envie aux spectateur·ices de rejoindre et de s’investir dans notre association.

Pouvez-vous me parler de votre projet de podcast, s'il est toujours d'actualité ? Les "Fugues de Comptoir", c'est cela ?

Cela a commencé pendant le confinement. C'était une année où personne ne pouvait organiser de projections et nous étions très frustré·es. Nous avons donc décidé de créer des podcasts pour que les programmations puissent continuer à exister. Ces podcasts peuvent être des créations de notre équipe de programmation ou de l'équipe permanente. Ils peuvent également inclure des interviews avec des réalisateur·ices ou des cinéastes que nous n'avons pas pu inviter, ou pour développer des thématiques. Parfois, cela nous permet aussi de mettre en avant le travail réalisé par les habitant·es lors de nos actions culturelles.

Comment diriez-vous que Comptoir du doc s'intègre dans le réseau de la Cinémathèque documentaire ? 

Avec la Cinémathèque du documentaire, nous avons la possibilité de développer nos évènements, en y apportant des temps forts thématiques par exemple, ce qui en fait un allié important pour des événements comme Images de justice, le Mois du Doc, Made in china ou encore Revers. Ce réseau nous permet de nous saisir aussi de propositions, ou d’en imaginer. Nous avons organisé un week-end de projections consacré à Chantal Akerman en présence de Claire Atherton. Ou encore, un week-end thématique autour du “peuple à l’écran” en présence de Patrick Leboutte, spécialiste du film documentaire, critique de cinéma et essayiste. 

Travaillez-vous en collaboration avec d'autres structures membres du réseau, comme la Cinémathèque de Bretagne ou d'autres ? 

Notre collaboration avec la Cinémathèque de Bretagne a été assez fructueuse. Pour l'événement Ré·Elles, par exemple, nous leur avons offert une carte blanche. Ils nous ont proposé deux courts-métrages, qui ne sont pas nécessairement issus de leurs archives, mais qui illustrent l'importance de l'utilisation des archives, étant au cœur de leur travail. Ces films montrent comment les cinéastes s'approprient aujourd'hui les archives amateurs ou professionnelles pour créer diverses œuvres, que ce soit de l'art vidéo ou des documentaires. L'année dernière, nous avions également collaboré avec eux pour une carte blanche autour du film "Ultraviolette, le Gang des cracheuses de sang", entièrement constitué d'archives amateurs. Nous avons également collaboré avec Tënk l'année dernière pour programmer une Escale, permettant de mettre en avant des films longs et courts-métrages en lien avec nos festivals passés ou à venir sur le thème de “filmer l’interdit”. Cette expérience a été très enrichissante. Par ailleurs nous travaillons très régulièrement avec les associations bretonnes, J’ai Vu un Documentaire, 20 000 Docs sur la Terre, Tyfilms… avec lesquelles nous organisons des tournées de cinéastes sur le territoire.

 

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crédit : Lorène Hivet 

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