Depuis 32 ans, Documentaire sur grand écran agit pour la diffusion du cinéma documentaire… sur grand écran ! Portée par la volonté de rétablir l’injustice dont est victime le documentaire en salles, l’association s'insère dans tous les angles morts, toutes les zones grises où le documentaire manque de visibilité. Coordinatrice d’un réseau de programmateur.ices partout en France, elle œuvre à implanter le documentaire au cinéma sur le long terme. Documentaire sur grand écran gère également la coordination du festival Best of Doc qui aura lieu du 6 au 19 mars. Pauline Girardot Chevaucheur (secrétaire générale) et Laurence Conan (chargée de développement en région) ont pris le temps de répondre à nos questions malgré cette période d'effervescence.
Documentaire sur grand écran, c’est quoi ?
Documentaire sur grand écran est née au début des années 1990. C’est une association de soutien et de promotion du cinéma documentaire. Sa spécificité est de venir en aide à la fois aux lieux de diffusion faisant de la projection commerciale (salles de cinéma) et des projections non commerciales (médiathèques, associations, tiers-lieux, cafés, librairies…). Il nous importe de soutenir les films à tout moment de leurs vies : qu’ils soient récents ou qu’ils soient de patrimoine, tant que la diffusion est collective et sur grand écran. Pour cela, nous nous appuyons sur un réseau de programmateur.ice.s adhérent.e.s sur tout le territoire français : le 7ème Réseau. Nous avons également un catalogue de 270 films documentaires qui permet leur sauvegarde et leur diffusion sur le long terme.
Comment fonctionne le 7ème Réseau ? Qui peut y adhérer ?
Le 7ème Réseau inclut des lieux de programmation documentaire commerciaux et non commerciaux. En échange d’une adhésion de 80€, tout lieu qui programme du cinéma documentaire peut avoir accès à nos propositions de programmation. C'est-à-dire un tarif préférentiel pour les films de notre catalogue et pour les films que l'on programme au Forum des images, les films du Mois du Doc, les circulations avec la LCDD, les prix que nous décernons, le festival Best of doc. Par ailleurs, nous aidons les programmateur.ice.s pour trois projections accompagnées par an en prenant en charge le voyage d'un intervenant à hauteur de 150€. Les adhérent.e.s au réseau ont également accès aux outils de notre site : un annuaire des intervenants, un agenda des sorties et la possibilité de voir les films de notre catalogue en ligne. De leur côté, ils s’engagent à nous informer sur leurs séances qui sont répertoriées sur notre site et dans notre newsletter. Les structures sont libres de renouveler ou non leur adhésion chaque année. Certaines reviennent d’une année sur l’autre en fonction de leurs projets. Actuellement, une cinquantaine de structures sont adhérentes.
Pouvez-vous en dire plus sur votre catalogue ?
Dans les années 90, les films documentaires ne sortaient pratiquement pas en salles. Pour pallier ce manque, Documentaire sur grand écran a créé une activité de distribution documentaire afin de donner de la visibilité aux films et de gérer la question des droits. Aujourd'hui, nous ne sommes plus une société de distribution mais opérons toujours une activité de distribution sur un modèle associatif. Nous avons toujours notre catalogue incluant les films acquis à cette époque-là. Depuis, il est alimenté tous les ans de nouvelles œuvres que nous conservons et proposons à la diffusion pour notre réseau. Nous pouvons ainsi demander des visas d'exploitation et permettre une remontée de recettes dans le circuit d'une billetterie CNC.
Pourquoi avez-vous cessé votre activité de distribution ?
Il y a une quinzaine d’années, les réglementations du CNC ont changé. En tant qu’association, on ne pouvait plus exercer une activité dite « commerciale ». En parallèle, des sociétés de distribution ont commencé à distribuer du cinéma documentaire. Nous avons donc arrêté les sorties nationales mais avons poursuivi notre travail auprès des exploitant.e.s et programmateur.ice.s pour continuer à valoriser le documentaire et leur sortie en salles. Nous avons notamment créé des prix documentaires dans les festivals généralistes tels que le Festival du film d’Amiens et le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand.
Vous continuez également à agir en complément en proposant aux salles des films qui n’ont pas de distributeur ?
Tout à fait. Notre travail est complémentaire de celui des distributeurs. Nous intervenons lorsque les mandats de distribution arrivent à échéance, souvent au bout de 5 ans. Ce sont généralement des distributeurs avec qui nous avons déjà travaillé qui reviennent vers nous pour nous proposer de reprendre un film et lui donner une seconde vie. Nous pouvons aussi servir d’intermédiaire notamment dans le cas de films étrangers n’ayant pas de distributeurs en France. Les distributeurs indépendants sont plus frileux à s’engager sur des films étrangers car ils ne peuvent les valoriser dans leurs demandes d'aides à la distribution auprès du CNC et doivent s’assurer de rentrer dans leurs frais. Or pour nous, ça ne change rien puisque nous ne faisons pas de sortie nationale. Nous pouvons alors servir d’intermédiaire entre les producteurs de documentaires étrangers et les exploitants en France. C'est un moyen pour certains films, certain.e.s auteur.ice.s d'avoir une vitrine et que des programmateur.ice.s français.es aient accès à ces films.
Concrètement, de quelle manière intervient Documentaire sur grand écran au niveau de la coordination du 7ème Réseau ?
L’important pour nous, c'est que les structures restent autonomes quant à leur programmation. Notre rôle est d’écouter les envies de programmation des adhérent.e.s au réseau et de les épauler dans cette direction . Nous proposons ensuite l’idée au reste du réseau. Nous faisons également un travail de programmation en interne que nous proposons au réseau en le laissant libre de s’en saisir ou non. Par exemple, lorsque nous avons organisé une tournée de Nicolas Humbert et de ses films en Bretagne, l’impulsion venait d’une structure implantée là-bas. Elle voulait le faire venir. Notre rôle a été de proposer aux structures adhérentes aux alentours de participer à la circulation que nous coordonnons.
Cela entraîne-t-il des disparités entre les territoires ?
En effet, notre travail dépend des dynamiques au niveau local. Des inégalités en termes de dynamiques culturelles existent. Des régions comme la Bretagne ou les Cévennes sont particulièrement dynamiques. À l’inverse, c’est plus compliqué dans l’Est. Ces disparités sont la conséquence des découpages régionaux en grandes zones et des différences de budget alloué à la culture en fonction des territoires. Justement, notre travail est de réduire ces inégalités et de faire en sorte de fluidifier le travail pour des structures en manque de moyens. C’est la force de Documentaire sur grand écran : savoir dialoguer avec les structures et avoir une bonne connaissance du terrain.
Qui compose l’équipe de Documentaire sur grand écran ?
Nous sommes quatre à travailler pour l’association. Pauline Girardot Chevaucheur est déléguée générale, moi (Laurence Conan) je suis chargée de développement région, je m’occupe du 7ème Réseau, j’alimente les propositions, je rencontre les programmateur.ices… Ensuite, Lucie Bonvin s’occupe des relations avec les salles et de la coordination de Best of Doc et Zoé Geslin est chargée de la communication et de la coordination de Best of Doc également.
Qu’est-ce que le festival Best of doc ?
L’idée de créer le festival Best of doc est venue suite au constat que le Festival Télérama ne retenait quasiment pas de films documentaires lors de sa reprise des meilleurs films de l’année précédente. Documentaire sur grand écran propose alors pour la 5ème année une reprise des dix meilleurs documentaires de l'année 2023 pour rétablir une forme d’injustice faite au documentaire en salles. Les salles participantes s'engagent à diffuser trois films minimum parmi notre sélection. En échange, nous négocions pour qu’elles n’aient pas à fournir de Minimums Garantis (somme minimum que l’exploitant doit verser au distributeur peu importe le nombre d’entrées réalisées par le film dans la salle en question). Ces minimums garantis rendent les salles frileuses quant à la programmation documentaire. L'année dernière, 200 séances ont eu lieu dans le cadre de Best of Doc, 25 étaient accompagnées. Soixante salles avaient participé partout en France, avant tout des salles qui n’avaient pas programmé les films à leur sortie. Pour cette édition, nous avons déjà 44 séances accompagnées de programmées.
Le 13 décembre dernier, Documentaire sur grand écran a organisé sa première Rencontre professionnelle, de quoi s’agit-il ?
Les rencontres de Documentaire sur grand écran ont lieu une fois par trimestre au Forum des images (salle 100). Nous invitons des professionnel.le.s à se réunir et discuter autour d’un sujet en lien avec le documentaire. Nous avons pensé ces rencontres comme un entre-deux : le documentaire d’un point de vue professionnel, mais ouvert au public. N’importe qui peut y assister. La première rencontre s’intéressait à ce que l’animation apporte au documentaire. Nous avons été surprises de son succès auprès du public « non professionnel ». La prochaine aura lieu le 13 mars. Elle sera l’occasion d’interroger la place des festivals dans l’économie du documentaire avec Catherine Bizern de Cinéma du réel, Bastien Gauclère du Fipadoc, Guillaume Morel de Survivance et sera modérée par Romain Lefebvre des Cahiers du Cinéma.
D’autres nouveautés en préparation ?
Nous venons de créer des journées de prévisionnement de documentaires destinées aux exploitant.e.s par région. Pour chaque séance, nous proposons trois ou quatre films en avant-première auxquels nous associons un film de patrimoine. La première s’est déroulée il y a deux semaines à Quimper. Pour organiser ces séances, nous nous appuyons sur les réseaux de salles art et essai locaux : Cinéphare en Bretagne ou Les écrans du Sud en région PACA. Cette proposition a rencontré beaucoup d’intérêt. D’autant plus que chaque séance est accompagnée d’un.e critique ou d’un.e programmateur.ice chargé.e de parler des films, de les mettre en lien, les placer dans un cadre historique ou culturel, fouiller des questions éthiques ou esthétiques. Nous avons choisi d’accompagner les séances après avoir fait le constat que tout le monde n’est pas forcément formé à l’analyse documentaire et habitué à en programmer. Nous devons fournir les outils afin de combattre la frilosité des programmateur.ice.s quant au documentaire pour que celui-ci s’impose en salles sur le long terme.
Documentaire sur grand écran est membre du réseau LCDD depuis sa création, qu’est-ce que le réseau vous apporte ?
La Cinémathèque du documentaire nous soutient financièrement chaque année pour Best of Doc, et ce depuis son lancement en 2019. Elle nous aide aussi sur nos projets de circulations de films. Ces financements permettent d’aller au-delà de simples projections et d’organiser des rencontres, des tables rondes, des ateliers comme ceux autour de l’audiodescription. Ce réseau bénéficie à tout le monde : on peut demander ou faire circuler des informations. Comme nous avons notre propre réseau, il arrive que des projets se créent entre notre réseau et celui de LCDD pour travailler ensemble. D’autant plus que certaines structures sont adhérentes des deux réseaux. Cela génère une synergie.
Le festival Best of Doc aura lieu partout en France du 6 au 19 mars. Rendez-vous sur le site dédié pour trouver des séances près de chez vous.
Best of Doc est un projet soutenu par la Cinémathèque du documentaire depuis son lancement en 2019.
Voici les films sélectionnés pour l’édition 2024 :
À pas aveugles de Christophe Cognet
How to save a dead friend de Marusya Syroechkovskaya
La Rivière de Dominique Marchais
Le Poireau perpétuel de Zoé Chantre
Little Girl Blue de Mona Achache
Notre Corps de Claire Simon
Pierre Feuille Pistolet de Maciek Hamela
Portraits fantômes de Kleber Mendonça Filho
Ricardo et la peinture de Barbet Schroeder
Zorn I, II et III de Mathieu Amalric
Date de mise à jour :