À la rencontre du réseau LCDD #22 : Yves de Peretti, cinéaste et formateur aux Ateliers Varan

Comment sont nés les Ateliers Varan ?

Les Ateliers Varan sont nés en 1980, mais leur origine remonte à une expérience menée deux ans plus tôt, en 1978, par Jean Rouch au Mozambique. Le pays venait alors d’obtenir son indépendance du Portugal, et plusieurs cinéastes, dont Rouch, avaient été invités à réaliser un film sur la nouvelle république mozambicaine. Il a proposé de monter un atelier en Super 8, estimant qu’il serait bien plus pertinent de former de jeunes Mozambicains afin qu’ils puissent raconter leur propre histoire. Ce geste fondateur posait déjà les principes de ce que deviendraient plus tard les Ateliers Varan. Accompagné de quelques-uns de ses proches de la section cinéma de l’Université de Paris X Nanterre. Jean Rouch s’est donc rendu sur place pour initier des Mozambicains aux techniques du cinéma documentaire, et plus spécifiquement au cinéma direct. L’enjeu n’était pas seulement technique : il s’agissait de transmettre un outil d’expression à ceux qui, jusqu’alors, n’avaient ni accès aux écoles de cinéma ni la possibilité de se former, et où il y avait des besoins de raconter. Les Ateliers Varan sont nés de cette volonté : permettre à chacun de raconter, de transmettre ses propres expériences. Ce premier atelier au Mozambique a posé les fondations de cette démarche, avant que ne naissent, par la suite, les Ateliers Varan. Les premiers ateliers ont pris deux formes. Certains se tenaient à Paris, en accueillant des participants venus du monde entier : des Papous, des Africains, des Européens… D’autres étaient organisés directement sur le terrain, dans les pays concernés. Dans les deux cas, l’objectif était le même : permettre à des personnes issues de contextes culturels et sociaux très divers d’acquérir les bases du cinéma documentaire afin de permettre à des étrangers d’apprendre les techniques du cinéma direct pour ensuite faire des films dans leur pays. À cette époque, les formations se faisaient souvent avec des moyens relativement peu onéreux, d’abord en Super 8 puis en 16mm. La plupart des fondateurs des Ateliers Varan avaient été formés par Jean Rouch et d'autres sont arrivés petit à petit. Parmi les premiers ateliers internationaux, on peut citer celui organisé en Bolivie, dans l’Altiplano chez les mineurs. Trois années consécutives, des ateliers ont également eu lieu aux Philippines, entre 1982 et 1984. D’autres projets ont vu le jour au Kenya, ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Chaque atelier répondait à un contexte spécifique, à un besoin local de prise de parole, avec cette idée forte que le cinéma peut devenir une manière de se réapproprier son histoire.

Quelles sont les particularités pédagogiques de vos formations ?

Les formations Varan se distinguent par leur approche non académique, l'apprentissage se fait par la pratique. Dès le premier jour, même des participants qui n’ont jamais touché une caméra se voient confier un appareil pour réaliser un premier exercice sur le terrain. C’est à partir de ce travail concret que s’engage la réflexion collective sur les spécificités du cinéma documentaire. L’essentiel, pour nous, est d’aller à la rencontre de l’autre, de se confronter au réel. La pédagogie repose donc entièrement sur cette expérience vécue. Nous ne donnons pas de règles fixes, mais présentons des outils — la caméra, le son — et construisons l’apprentissage en fonction de ce que chaque stagiaire apporte de son terrain. Autre particularité importante : la relation pédagogique n’est pas verticale. Les formateurs interviennent en binôme, apportant souvent des points de vue différents sur un même projet. Cette diversité favorise un dialogue riche, où l’expérience des formateurs sert à accompagner, non à imposer. C’est un peu la pédagogie du maître ignorant : guider sans dicter. Pour accéder à ces formations, deux voies existent. À Paris, elles relèvent de la formation professionnelle continue et sont donc payantes. Chaque candidat est reçu en entretien afin de vérifier que son projet correspond bien à l’esprit Varan. Par ailleurs, à l’étranger, certains ateliers sont gratuits, financés par des institutions locales ou partenaires. Le cadre change, mais la méthode reste fidèle à cette approche centrée sur la pratique et l’échange.

Quels sont les sujets traités dans les documentaires réalisés lors des formations ?

Il n’y a pas de "sujet" type dans les documentaires réalisés lors des formations, puisque ce sont les stagiaires eux-mêmes qui proposent leur idée de film. Les formations, qui peuvent être intenses — sur 7 ou 12 semaines selon les formats — conviennent particulièrement aux expériences de cinéma direct. Tous les films ne relèvent pas de cette méthode, mais le cinéma direct se distingue justement par une écriture éloignée des formats journalistiques traditionnels, en s’affranchissant de l’interview ou du reportage, pour chercher une narration propre à la réalité : Une histoire, mais sans a priori, sans commentaire ni interview formelle. Il s’agit d’établir une relation avec une ou plusieurs personnes, de filmer certains événements de leur vie, puis de construire une narration. C’est la formule typique, mais d’autres approches sont aussi possibles. Dans les formations, courtes de 7 semaines, pour aider les stagiaires, un thème général leur est proposé — par exemple le corps, la ville, les questions de genre — ce qui leur permet de concentrer leur regard et d’orienter leur démarche. 

Pouvez-vous nous parler du projet Impala en Afrique francophone ?

Le projet Impala est une collaboration entre les Ateliers Varan, Docmonde, une association issue de l’école documentaire de Lussas pour l’étranger, et 10 partenaires africains. Nous avons uni les compétences de nos deux associations françaises : Docmonde est spécialisée dans la mise en production de films documentaires tandis que nous nous concentrons sur la formation de jeunes réalisateurs et monteurs. Impala est un projet à moyen terme  mené en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, qui se déroule en plusieurs phases de 3 ans. La première édition triennale a eu lieu de 2021 à 2024. La seconde édition est en cours (2025-2027). Elle comprend un volet diffusion : un catalogue de films est rassemblé puis projeté à destination de plusieurs publics (écoles, habitants ruraux, etc.) dans les pays partenaires, à travers des associations locales. La première phase (2021-2024) a concerné 11 pays, la seconde phase débute cette année dans 10 pays. L’objectif est de faire découvrir le cinéma documentaire d’auteur à un public souvent peu familier du genre, notamment des lycéens et étudiants, dans des contextes où le documentaire est peu valorisé. Sur le plan de la formation, le projet Impala propose 3 niveaux : des ateliers de réalisation et montage de 7 semaines chacun, où nous formons à la fois réalisateurs et monteurs. Ces ateliers réunissent des participants de plusieurs pays, qui travaillent ensemble sur place. Le prochain atelier aura lieu à Pointe-Noire en République du Congo en septembre et octobre prochain, avec des formateurs français et africains, dont Dieudonné Hamadi. Nous intervenons en binôme pour apporter un double regard, évitant d’imposer un modèle français, et favorisant la révélation d’auteurs capables de trouver leur propre écriture. Parallèlement, des formations à la production seront assurées par des producteurs africains. Dans la deuxième année, des ateliers d’accompagnement à l’écriture et à la production seront proposés à des réalisateurs et des producteurs ayant déjà une expérience, en plusieurs sessions réparties sur plusieurs mois. Enfin, des rencontres de coproductions internationales seront organisées au Togo par Docmonde, pour favoriser la concrétisation des projets de films documentaires développés lors des ateliers. En ce qui concerne les participants, le projet vise principalement les jeunes. Dieudonné Hamadi et moi-même pensons qu’il est essentiel de former celles et ceux qui pourront devenir des professionnels du documentaire. Les candidats ont généralement entre 25 et 35 ans : certains ont déjà réalisé quelques films, d’autres sont à un stade plus débutant, mais tous ont une volonté forte de raconter et d’exprimer leur vision dans des pays où les écoles de cinéma font souvent défaut. 

Auriez-vous une anecdote marquante survenue lors d’une formation ?

Une anecdote marquante remonte à un atelier que nous avons animé en Centrafrique avec Boris Lojkine et Daniele Incalcaterra. Cet atelier, qui a eu lieu en 2017, précéda le lancement du programme Impala et fut d’ailleurs l’un des déclencheurs de ce projet. Nous sommes arrivés dans un pays où le cinéma était quasiment inexistant. À cette époque, un seul film avait été réalisé par un Centrafricain, en collaboration avec un co-réalisateur camerounais. Il n’y avait ni école, ni infrastructures, rien. Au bout de deux semaines, lors du premier bilan, un jeune réalisateur du nom d’Elvis Sabin Ngaïbino, qui depuis a tracé son propre chemin et vu ses films primés au Cinéma du Réel, nous raconta qu’à l’arrivée du matériel, lorsqu’il vit la caméra pour la première fois, il l’avait tout simplement embrassée. Un geste empreint d’émotion, car depuis une quinzaine d’années, il rêvait de faire des films. Il écrivait des scénarios et appartenait à un club de cinéastes, mais sans avoir eu les moyens de concrétiser son rêve, n’ayant jamais eu accès à une caméra auparavant.

Pouvez-vous nous parler des dimanches de Varan ?

En 2012, nous avons mis en place Les Dimanches de Varan. Il s’agit d’un format de 4 heures, se déroulant le dimanche matin, de 10 heures à 14 heures, avec une pause conviviale à midi. Ce cycle prend la forme de conférences sur la base de projections d’extraits de films, principalement documentaires, sans pour autant exclure la fiction, qui y fait parfois une apparition. Les intervenants sont des critiques, des penseurs, des enseignants du cinéma. Parmi les premiers invités figuraient des personnalités majeures telles que Marie-Pierre Duhamel-Muller, programmatrice et ancienne directrice artistique du Cinéma du Réel, ainsi que Jean-Louis Comolli, membre éminent de Varan. On compte également des philosophes comme Marie-José Mondzain, des historiens du cinéma comme Federico Rossin, des critiques et des enseignants renommés. Ce format atypique repose sur une thématique proposée par les conférenciers, qui conduisent une réflexion approfondie à partir d’extraits choisis de films : redécouvrir des cinéastes méconnus, analyser des thématiques spécifiques ou des sous-genres, etc. De temps en temps, nous organisons également des hommages. Chaque séance commence par l’accueil des participants autour de cafés et de viennoiseries, qui réapparaissent d’ailleurs à la pause pour prolonger les échanges. Chaque année, entre 15 et 20 sessions sont organisées. 

Dans le processus de réalisation d’un documentaire, quel aspect vous paraît le plus important ?

L’essentiel réside dans le fait que le film ressemble à son auteur, qu’il soit l’écho fidèle de sa personnalité. Le documentaire est une forme d’expression profondément personnelle. Même sans apparaître à l’image ni prononcer la moindre parole, il dévoile beaucoup de celui qui le réalise : son regard sur le monde, sa relation à l’autre, sa manière d’appréhender l’altérité. On ressent toujours, à travers les images, la présence de la personne derrière la caméra. C’est pourquoi je souhaite que chaque film soit le reflet sincère des forces comme des failles de chacun. Car au fond, on ne peut créer que les œuvres que l’on est capable de faire à un instant donné de sa vie. Nos films évoluent avec notre parcours, notre âge — on ne fait pas les mêmes films à 25 ans qu’à 35 ans. L’objectif est que chaque film soit une véritable empreinte personnelle, unique et authentique, à laquelle on puisse dire : « Ce film, c’est toi », et non une œuvre interchangeable parmi tant d’autres. 

 

Entretien réalisé par Sabrina Jacomelli, en service civique à la Cinémathèque du documentaire

Date de mise à jour :