En 2006, l’Institut Jean Vigo devient cinémathèque euro-régionale de Perpignan. Le parcours qui l’a porté jusque-là est long et parsemé d’actions diverses menées au nom du septième art. D’un ciné-club de passionnés à une cinémathèque conservant une des collections les plus importantes de France, l’histoire de cette structure et de son équipe est remarquable. A l'occasion de la 60e édition du festival Confrontation (du 2 au 6 mai 2025) organisé par l'Institut, nous avons interviewé la directrice, Manon Billaut, à propos de l'histoire de l'Institut et de cette nouvelle édition du festival consacrée au Cinéma Animal.
Pouvez-vous présenter l'Institut Jean Vigo, Cinémathèque de Perpignan ?
L’Institut Jean Vigo est une association créée en 1962 par un groupe de cinéphiles, qui avaient d’abord fondé un ciné-club, comme c’est souvent le cas pour les cinémathèques en France. Progressivement, pour profiter pleinement des films, une collection a été constituée, ainsi qu’un ensemble d’archives autour du cinéma. Ce n’est qu’en 2007 que l’association a obtenu le statut officiel de cinémathèque, ce qui a permis une reconnaissance accrue et une professionnalisation de nos activités. En tant que cinémathèque, nous avons les missions classiques : conserver les films et tout type d'archives qui accompagnent et qui entourent le cinéma, valoriser ces collections et les transmettre. Nous accordons également une attention particulière à la transmission. Nous disposons d’un département d’éducation au cinéma très actif et nous coordonnons l’ensemble des dispositifs d’éducation au cinéma, de la maternelle au lycée. Concernant la valorisation, elle passe par notre salle de cinéma où nous organisons deux projections hebdomadaires au sein d’une saison articulée en deux semestres. Nous valorisons également nos collections à travers des expositions, en particulier grâce à notre importante collection d’affiches : près de 80 000, l’une des plus riches en France, couvrant toute l’histoire du cinéma. Nous organisons aussi le festival Confrontation, qui fête cette année sa 60ᵉ édition. Chaque édition aborde une thématique permettant d’interroger la place du cinéma dans la société via le lien cinéma-histoire. En parallèle de nos expositions temporaires, nous avons mis en place un musée virtuel de l’affiche, qui permet un accès numérique à une partie de nos collections, grâce à un scanner haute définition permettant de numériser régulièrement affiches, plans de décors ou autre type d'archives papier qui peuvent être envoyées, reproduites pour des expositions à l'étranger ou autre.
Votre collection de films est très riche. Pouvez-vous nous en dire plus sur la diversité des genres et des formats que vous conservez ?
Nous conservons environ 10 000 films. Cette collection comprend des fictions plus ou moins connues, sorties en salles ou issues du circuit de l’exploitation, notamment collectées à l'époque du ciné-club. À cela s’ajoutent environ 3 000 films amateurs, produits par des cinéastes en herbe. Ces œuvres offrent un regard unique et précieux sur notre territoire : des témoignages historiques sur Perpignan, ses environs, mais également sur des départements voisins comme l’Aude. Cette part amateur représente une section importante de nos collections et fait l’objet d’une valorisation régulière. Nous participons notamment au projet mutualisé « Mémoires filmiques Pyrénées-Méditerranée », avec la Cinémathèque de Toulouse, la Cinémathèque des Baléares et la Filmoteca de Catalunya, qui permet de proposer en ligne des films amateurs conservés par ces institutions. Quant à notre collection courante, elle couvre toute l’histoire du cinéma, dans tous les formats. Nous continuons aujourd’hui à enrichir nos fonds grâce aux distributeurs, qui nous confient des copies 35 mm devenues excédentaires. Cela nous permet de maintenir la projection en pellicule, notre salle étant équipée pour cela. En raison de notre situation géographique, nous avons aussi constitué une collection liée à l’Espagne : nous possédons de nombreux films projetés en Espagne ou, parfois, censurés là-bas et montrés à Perpignan.
Vous avez évoqué vos actions éducatives. Pouvez-vous nous en dire plus ?
À Perpignan, quasiment tous les enfants scolarisés passent un jour par la Cinémathèque. Chaque année, nous accueillons environ 20 000 jeunes, de la maternelle au lycée. Ils viennent assister à des projections dans le cadre des dispositifs nationaux ou régionaux d’éducation à l’image, où nous jouons un rôle d’accompagnement. Nous avons également des partenariats directs avec des établissements scolaires : nous accompagnons des projets thématiques, en proposant des films en lien avec les sujets étudiés. Tout au long de l’année, nous organisons aussi plusieurs festivals jeunesse. Parmi eux, le festival du film judiciaire, destiné aux lycéens, leur permet de rencontrer bâtonniers, avocats et magistrats de Perpignan pour débattre autour des films et des questions de justice contemporaine. Nous avons récemment inauguré un festival scolaire uniquement en catalan, dédié aux écoles bilingues ou immersives, avec des projections de films d’animation produits en catalan. Nous participons également au César des lycéens, où nous accompagnons des classes option cinéma : les élèves visionnent tous les films sélectionnés et sont formés au rôle de juré par des professionnels du secteur. Enfin, nous sommes membres du dispositif Cinéma 100 ans de jeunesse, un projet international dans lequel des collèges partenaires réalisent des films autour d'une thématique annuelle. En dehors du temps scolaire, nous proposons également des ateliers destinés aux centres de loisirs, aux crèches ou aux enfants pendant les vacances scolaires : découverte de l’histoire du cinéma, initiation aux effets spéciaux, réalisation de premiers films… Les activités sont nombreuses et adaptées à tous les âges.
Pouvez-vous nous présenter le Festival Confrontation et le thème choisi cette année ?
Le festival Confrontation est né il y a 60 ans, en même temps que la Cinémathèque. Il a été fondé par Marcel Oms, avec la volonté affirmée de faire venir à Perpignan des historiens du cinéma à une époque où ce type d'événement était encore rare, surtout sous un angle historique. Dès ses débuts, le festival a proposé des regards croisés sur un même thème à travers l’histoire du cinéma, avec des films souvent rares ou inédits. Chaque édition a donné lieu à un travail de recherche approfondi, souvent accompagné par une publication – comme les Cahiers de la Cinémathèque ou la revue Archives – prolongeant cette démarche scientifique. Aujourd’hui encore, bien que nous nous ouvrions davantage au grand public, nous restons attachés à cette exigence : choisir un thème qui traverse l’histoire du cinéma et reflète aussi l’évolution de la société. L’an passé, nous avons choisi de travailler sur l’eau, un sujet d’actualité dans notre département frappé par la sécheresse. Cette année, nous explorons le thème de l’animalité. Le film Le Règne animal de Thomas Cailley a certainement été un déclencheur, mais plus largement, nous avons observé un profond changement dans la représentation des animaux au cinéma. Ce thème permet d’interroger notre rapport à la nature, à l’environnement, et notre propre place au sein du vivant.
Comment sélectionnez-vous les films de la programmation du festival ?
Le thème est décidé en concertation entre l'équipe de l'Institut et le conseil d'administration. Ensuite, nous constituons un comité de programmation, composé des équipes de l'Institut, notamment celles en charge de la programmation, ainsi que de spécialistes et de membres du conseil d'administration. Nous commençons par recenser les films incontournables, ainsi que des œuvres plus rares. Nous réfléchissons également aux invités potentiels et aux films en lien avec l'actualité. Progressivement, une sélection se dessine et permet aussi de dégager plusieurs thématiques. Cette année, nous avons structuré la programmation autour de quatre grands axes liés à notre thème. Nous avons souhaité explorer le rapport de l'homme aux animaux dits de compagnie, ces animaux qui partagent le quotidien humain sous différentes formes. Nous avons intitulé cet axe "compagnon et serviteur", pour souligner à la fois l'attachement et l'utilisation parfois instrumentale de l'animal. Nous avons également voulu travailler sur la notion de métamorphose : la transformation de l’homme en animal, avec toutes les légendes et récits associés. Un autre volet porte sur la confrontation de l’homme au monde animal, ce monde souvent immense et fascinant, que nous avons abordé notamment à travers des films d’exploration ou des documentaires offrant une approche respectueuse et distanciée. Enfin, nous avons choisi d’aborder la question de la mise à mort de l’animal, thème présent au cinéma dès ses origines. Les abattoirs, lieux longtemps inaccessibles au grand public, furent parmi les premiers sujets filmés, et cette représentation a conservé une force particulière à travers l'histoire du cinéma. C’est un thème vaste, qui nous a permis d’embrasser de nombreuses facettes du rapport entre l’humain et l’animal.
Quelle place accordez-vous au documentaire dans la programmation de votre festival ?
Le documentaire occupe une place importante : cette année, sur 70 films programmés, une vingtaine sont des documentaires, ce qui reflète aussi notre programmation annuelle. Cela représente près d’un tiers de notre sélection. Concernant la thématique de la mort animale, nous avons voulu établir un lien avec notre région, les Pyrénées-Orientales, et plus largement avec le sud de la France. Il nous paraissait essentiel d’évoquer la corrida. À ce titre, nous sommes très heureux de pouvoir présenter un documentaire tout récent d'Albert Serra, Tardes de soledad, qui sort en même temps que notre festival. Albert Serra, réalisateur catalan vivant près de Perpignan, suit dans ce film Andrés Roca Rey, une figure emblématique de la tauromachie contemporaine. Ce film étant également programmé en sortie commerciale, nous avons conclu un partenariat avec un cinéma local pour délocaliser une séance. Cela nous permet de l'intégrer à notre programmation, bien que nous soyons habituellement dans un circuit non commercial. Nous proposons également une séance historique sur les premières représentations filmées des arènes, mêlant fiction et documentaire. Thierry Lecointe, auteur du livre Le cinématographe Lumière dans les arènes, viendra présenter ces œuvres datant de 1896 à 1899, montrant comment les frères Lumière ont préfiguré la représentation narrative de la corrida au cinéma. Cette ciné-rencontre sera animée par François Emile, professeur émérite à l’Université de Montpellier et membre du conseil d’administration de l’Institut. Ce sera à la fois une séance cinématographique et une conférence à forte dimension historique. Ensuite, nous projetons aussi Le Sang des bêtes de Georges Franju, qui nous vient des collections du CNC, partenaire du festival. Parmi les documentaires récents, nous présentons Nous la mangerons, c’est la moindre des choses d’Elsa Maury, consacré à une bergère ardéchoise qui choisit de donner elle-même la mort à ses brebis. Nous diffuserons également Ultra Moderne d’Orian Ziad, un court-métrage autour de Julie, une jeune apprentie qui débute dans une ferme laitière et découvre que la musique classique semble stimuler les vaches… Tous ces films permettent de voyager à travers la France et d’interroger nos pratiques rurales et alimentaires. Et puis, nous collaborons avec le Festival Jean Rouch et projetons plusieurs de ses films. Nous sommes également partenaires des Archives de la Défense (l'ECPAD), qui nous ont fourni plusieurs documentaires sur les bêtes de guerre. Nous avons aussi conçu un programme à partir de nos images amateurs sur l’animal dans les Pyrénées-Orientales. Ensuite, nous avons invité Emma Baus, une documentariste originaire de notre région, qui viendra présenter son nouveau film Le renard qui a sauvé son île, consacré à un renard nain de l’île de Santa Cruz en Californie. Elle présentera aussi Trois petits chats, un documentaire destiné aux familles que nous diffuserons lors de nos séances enfants pendant le week-end. C’est important pour nous de valoriser les documentaristes du territoire. Nous accueillerons Vin Pulane (Puvaneswaran), jeune militant écologiste, qui joue son propre rôle dans Animal de Cyril Dion. Il viendra témoigner de son expérience et de son engagement en faveur de la cause animale.
Pouvez-vous partager une anecdote marquante qui reflète l’esprit du festival Confrontation ?
Je suis arrivée il y a seulement un an et demi. Cependant, l'année dernière, Robert Guédiguian, notre invité, a vécu un moment très spécial. Lors de la projection de Marius et Jeannette dans une église, le premier soir du festival, il a revu ce film qu'il connaît par cœur, un film qu'il estime être le plus marquant de sa carrière. Au début, il ne souhaitait pas assister à la séance, ayant déjà vu le film une centaine de fois, mais il a finalement accepté d'être là. Lors de la projection, il a filmé lui-même son film à l'écran. Il m'a dit qu'il allait l'envoyer à l'actrice Ariane Ascaride, et j'ai vu qu'il était profondément ému de revoir son film dans ce cadre particulier. Il a même ajouté que c'était vraiment le plus beau lieu pour voir son film projeté. Ce moment a été pour moi extrêmement touchant.
Pourquoi avoir rejoint le réseau de la Cinémathèque du documentaire et depuis quand en faites vous partie ?
L’Institut fait partie du réseau depuis relativement peu de temps. Quant à la raison de notre adhésion à ce réseau, c’est assez simple. Nous ne faisons pas vraiment de distinction entre fiction et documentaire. Nous nous attachons à proposer un cinéma différent dans notre salle, un cinéma qui entretient un rapport fort à la société, à l’histoire. Et quoi de mieux que le documentaire pour porter ces enjeux ? Pour nous, il est important d’être accompagnés par la Cinémathèque du documentaire dans nos programmations. Cela nous permet également de rejoindre un réseau qui facilite la création de programmations en collaboration avec d’autres structures, ce que nous n’avons pas encore pleinement mis en place, mais qui est un projet qui nous intéresse vraiment. En plus, la Cinémathèque, au-delà de son rôle dans l'éducation et la transmission via notre service éducatif, regroupe un réseau de professionnels du cinéma. Beaucoup de cinéastes contemporains, mais aussi des techniciens, monteurs, scénaristes, réalisateurs, preneurs de son... sont issus de notre région, les Pyrénées-Orientales, et travaillent en grande partie dans le cinéma documentaire. Ce réseau nous permet aussi de valoriser leur travail et leurs créations. En résumé, rejoindre ce réseau nous aide à être identifiés comme le relais local pour la promotion du cinéma documentaire ici, dans la région.
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