À la rencontre du réseau LCDD #16 : Annie Chassagne du festival Traces de Vies

Créé en 1991, le festival Traces de vies se tient chaque année à Clermont-Ferrand et ses alentours. Il propose une programmation contemporaine et internationale d’une grande diversité de styles et d'écritures. Attaché aux valeurs d’éducations populaires, le festival s’adresse à un public large et vise à rendre accessible le documentaire de création. Annie Chassagne, directrice artistique et co-présidente de Traces de vies, répond à quelques questions à propos du festival qui débutera le 1er décembre 2024.

Quelle est la spécificité du festival Traces de Vies ?

Le festival Traces de Vies en est à sa 34ᵉ édition. Créé en 1991, il est né à l’initiative d’une école de travailleurs sociaux, qui a porté l’événement jusqu’en 2017. À l'origine, une équipe de passionnés de cinéma documentaire à Clermont-Ferrand a monté ce projet à partir de rien. Les premières subventions sont arrivées seulement trois ou quatre ans après. À cette époque, le documentaire était un genre peu reconnu, bien avant l’essor d’Arte et le retour en grâce de ce format dans le cinéma. C’était un véritable travail de pionniers, mené dans l’ombre. Avec le temps, le festival a grandi. Dès le départ, une petite compétition a vu le jour, aujourd’hui bien établie. Cette année, 38 films seront en compétition répartis en quatre sections, et nous accueillerons quatre jurys. Depuis 2008, nous proposons également une leçon de cinéma à l’initiative du CNC, consacrant une journée entière à un ou une cinéaste. En 2023, c’est Julie Bertuccelli, réalisatrice de films documentaires et présidente de la Cinémathèque du documentaire, qui sera mise à l’honneur. La thématique de cette édition, "Documenter les mondes de demain ?", reflète notre engagement pour des sujets souvent politiques. Le programme inclut des séances spéciales, des partenariats, et des événements hors-les-murs grâce aux coursives, qui permettent de collaborer avec différents acteurs locaux. Bien que le festival soit issu d’une école de formation supérieure, il s’adresse depuis toujours à un large public avec des programmations variées, accessibles à tous.

Vous programmez des documentaires de création : comment avez-vous choisi ceux de cette année ?

Pour la compétition, nous effectuons la sélection à partir des films soumis via la plateforme Docfilmdepot, gérée par Ardèche Images, à laquelle nous avons contribué lors de sa création. Cette année, nous avons reçu 750 propositions, parmi lesquelles 38 ont été retenues pour la compétition. L’une des particularités de Traces de Vies réside dans notre comité de sélection, qui associe depuis toujours bénévoles et salariés. Toute personne ayant un intérêt pour le cinéma documentaire peut rejoindre ce comité. Le processus est collectif : les membres partagent leurs avis et observations, souvent complémentaires. Une remarque sur un point faible d’un film, relevée par l’un, peut enrichir la perception globale grâce aux éclairages des autres. Ce travail collaboratif permet d’analyser les films sous plusieurs angles, d’anticiper les réactions et confrontations avec le public, et d’assurer une programmation variée et inclusive. La diversité au sein de notre comité est une richesse qui guide nos choix. Elle reflète également l’évolution du documentaire de création, dont les formes et écritures ont beaucoup changé ces dernières années. Cette édition illustre bien cette transformation avec des œuvres qui flirtent parfois avec la performance artistique. Par exemple, Ice Breath de Leonard Alecu, un film en noir et blanc sur les glaciers, accompagné d’une symphonie spécialement créée, repousse les frontières du genre.

Quels seront les temps forts de cette 34e édition ?

Parmi les temps forts, la leçon de cinéma avec Julie Bertuccelli occupe une place centrale. Cette journée complète mêle la projection de ses films le matin à une session approfondie l’après-midi, avec des extraits analysés et un entretien en profondeur. C’est un rendez-vous unique et emblématique du festival. La compétition sera également riche en moments mémorables, grâce à une sélection de films rares et variés, intégrant même une touche d’humour. Notre thématique de cette année, "Documenter les mondes de demain ?", invite à réfléchir à l’avenir à travers des œuvres qui interrogent les grands enjeux contemporains. Un hommage sera rendu à Rémi Gendarme-Cerquetti, réalisateur handicapé décédé cette année, dont le travail remarquable a marqué Traces de Vies. Il était un invité régulier du festival, et cet hommage souligne l’importance de son œuvre dans le domaine du cinéma documentaire. C’était un réalisateur remarquable. 

Pouvez-vous partager une anecdote marquante qui reflète l’esprit du festival ?

Pour la leçon de cinéma, j’ai constaté que donner la parole à une personne pendant une journée produit des effets de surprise y compris pour celui qui parle. Des éléments qu'il n'avait pas forcément abordés auparavant émergent, comme le réalisateur Bertrand Tavernier, qui a évoqué pour la première fois ses relations compliquées avec son père, il y a quelques années. C'était très émouvant.

L’association Traces de Vies mène de nombreuses actions tout au long de l’année, en dehors des dates du festival, pouvez-vous nous en parler ?

Du côté des publics, on travaille en milieu rural, avec des établissements scolaires, pendant toute l’année nous avons des actions culturelles et d’éducation à l’image qui sont très peu financées mais nous avons l’aide précieuse de la Cinémathèque du documentaire. Nous intervenons dans différents types d’établissements du primaire au lycée, nous avons des actions en EHPAD également, en médiathèque, nous avons des rendez-vous réguliers mensuels dans des salles de Clermont-Ferrand et là on touche très souvent un public ne venant pas au festival. Notre public est donc très large, nous avions également des actions pénitentiaires mais on les a perdues, ce qui est bien dommage car c’était très intéressant. On retrouve un certain public en difficulté pendant le festival et après également car on continue de travailler, toujours avec cette sensibilité.

Pourquoi avoir rejoint le réseau de la Cinémathèque du documentaire ?

Nous avons rejoint la Cinémathèque du documentaire dès ses débuts, faisant partie du premier cercle des membres. Cette initiative répondait à un besoin crucial dans le paysage cinématographique français. À l’époque, le terrain consacré aux documentaires était quasi inexistant. Je me souviens être allée un jour à la Cinémathèque nationale pour chercher des informations sur des documentaires, et j'ai été consternée par la pauvreté de leur fonds documentaire. Il était évident qu’un tel projet était indispensable, et nous n’avons pas hésité à y prendre part. La présence permanente de la Cinémathèque au Centre Pompidou constitue une force majeure, notamment pour se tenir informés des actualités documentaires. Par exemple, cette année, la Cinémathèque met à l’honneur Frederick Wiseman, un immense réalisateur, avec un hommage qui reflète l’ampleur de son œuvre – un projet que seule une institution comme celle-ci pouvait porter. Nous suivons de près ces initiatives, qui enrichissent considérablement le rayonnement et la reconnaissance du cinéma documentaire.

Travaillez-vous en lien avec des membres du réseau de la Cinémathèque du documentaire ?

Nos collaborations avec d’autres acteurs du réseau sont limitées, en grande partie en raison de l’absence de proximité géographique. À Clermont-Ferrand, nous sommes les seuls membres du réseau, ce qui rend difficile la création de liens réguliers. Nous avons toutefois établi un contact avec l’Aquarium Ciné-Café, notamment à l’occasion d’échanges autour du festival Traces de Vies. Depuis cette rencontre, nous communiquons par mail, mais nos interactions restent ponctuelles et modestes. Pour le moment, la distance constitue un frein à des collaborations plus étroites avec les autres membres du réseau.

 

Entretien réalisé par Sabrina Jacomelli en service civique à la Cinémathèque du documentaire.

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