A bientôt j'espère organise depuis 10 ans des projections-discussions autour de films documentaires, hors des lieux culturels, afin de créer des discussions à petit nombre sur des problématiques qui traversent nos vies privées et sociales. Notamment avec Les banquets du réel : une grande tablée du documentaire - Entre repas de famille et cinéma à la maison, les banquets du réel sont une aventure cinématographique et culinaire pour spectateurs-mangeurs...
Pouvez-vous nous présenter votre association ?
L’association, fondée en 2012, est née du désir de prolonger la vie des films documentaires après leur passage en festival ou leur sortie en salle. Son nom, À bientôt j’espère, est inspiré d’un film de Chris Marker et Mario Marret qui documente le travail à la chaîne, mais qui, à sa projection, se heurte aux critiques des ouvriers, révélant l’écart entre leur réalité et la vision des réalisateurs. Ce choc pousse les réalisateurs à former les ouvriers pour qu’ils réalisent eux-mêmes Classe de lutte, leur propre réponse. Nous avons démarré en 2013 avec des séances de cinéma chez l’habitant, organisant 135 projections dans des salons, réunissant entre 7 et 20 personnes et partageant un repas offert par l’hôte. Ce format a pris de l’ampleur, mais sa réussite reposant sur une réactivité immédiate, nous avons dû arrêter cette formule. Ensuite, nous avons initié des banquets de cinéma : des projections dans des lieux publics pour une vingtaine de personnes suivies d’un repas. Parallèlement, nous avons développé des résidences de programmation, accueillis par des lieux comme le centre social où nous sommes aujourd’hui. La directrice de ce centre a ensuite souhaité ouvrir ces initiatives au quartier. Aujourd’hui, après 9 ans, cette résidence de programmation nous permet de soutenir et d’amplifier le travail social mené localement.
Du coup, les banquets, c’est plus intimiste. Comment gérez-vous ça ?
Les banquets sont effectivement plus intimistes. Les places sont vite prises, et dans certains lieux, comme le centre social, il n’y a pas de réservation possible. Là, il suffit d’arriver une heure à l’avance pour obtenir un ticket qui garantit l’entrée. En revanche, pour les parcours documentaires — un programme de midi à minuit avec plusieurs séances (films, écoutes, rencontres) —, nous tenons à ce que les participants suivent tout le parcours. Les gens s’inscrivent donc à l’avance, car ce cheminement collectif, suivi par 40 à 80 personnes, crée un « bagage commun » avant l’arrivée de l’invité. Ainsi, la discussion est enrichie, et la rencontre avec l’invité devient plus profonde, car il y a déjà un socle partagé. Pour ces parcours, nous créons une sélection de films autour d’un thème, comme l’amour, la mort ou les questions écologiques, chaque film résonnant avec le précédent pour construire un sens plus large. Ces parcours affichent complet en deux jours. Quant aux banquets, qui accueillent 18 personnes, nous pouvons les proposer plusieurs soirs, permettant à 120 personnes de participer sur cinq jours. Actuellement, la demande est forte, ce qui nous amène à adapter les séances : par exemple, proposer deux créneaux (18h et 20h30). Passer à des jauges plus grandes pourrait changer l’esprit des événements, ce qui nous amène à repenser notre organisation.
Quels types de films proposez-vous et à qui s’adressent-ils ?
Nous ne projetons que des films qui nous touchent et interrogent. Ensuite, nous développons des stratégies pour inciter le public à venir. Par exemple, nous créons des supports papier — programmes publics ou cartons d’invitation — que nous distribuons, mais surtout que nos partenaires diffusent. Ces partenaires, qui connaissent bien les personnes avec qui ils travaillent, jouent un rôle essentiel dans la médiation et la diffusion de l’information, ce qui permet de diversifier notre public. Certains viennent par un travailleur social, d’autres découvrent le programme en passant, ou encore via le café international. Ces approches variées élargissent notre audience. Nous avons aussi quelques règles : pour les banquets cinéma, il n’est possible de réserver que pour deux personnes maximum, et nous encourageons les habitués à inviter quelqu’un de nouveau, pour garantir la diversité des échanges autour de la table.
Pourquoi avoir choisi le genre documentaire ?
Nous avons choisi le documentaire car c’est un genre où l’invention du récit est stimulante et où des histoires, souvent plus bouleversantes que la fiction, se racontent avec authenticité. La fiction impose souvent un regard et une interprétation, tandis que le documentaire laisse de l’espace au spectateur pour se forger sa propre vision. C’est pourquoi il est difficile de décrire précisément les films que nous sélectionnons : ils sont ouverts, permettant à chacun d’en faire une expérience unique. Nous évitons les films militants ou didactiques. Bien que beaucoup de réalisateurs aient une démarche engagée, nous préférons des œuvres qui n’imposent pas un message mais ouvrent plutôt un espace de réflexion.
De quelle manière contribuez-vous à la vie culturelle et sociale du territoire grenoblois et de la région ?
Nous avons choisi de nous ancrer dans le sud de l’Isère, élargissant notre action de Grenoble et son agglomération vers la Matheysine, le Valjouffrey, le Triève, et la Chartreuse, ce qui couvre un vaste territoire. Nous travaillons principalement avec des lieux qui ne sont pas dédiés au cinéma : structures sociales, bars, campings, musées. Nous répondons aux invitations de partenaires locaux qui souhaitent nous accueillir, favorisant les rencontres spontanées. Si l’envie se confirme, une projection s’organise, notre ancrage reposant sur des personnes, plus que sur des lieux précis. Nous collaborons peu avec les institutions culturelles et préférons intervenir dans des espaces du quotidien où les gens vivent et travaillent. Parfois, des artistes nous contactent pour un appui en recherche documentaire. Nous leur fournissons alors une sélection de films en lien avec leur projet, enrichissant ainsi leur réflexion en peu de temps. Par ailleurs, des salles culturelles nous prêtent parfois leurs espaces, mais nous privilégions les endroits non conventionnels. Transformer une étable de village en salle de cinéma, par exemple, nous semble bien plus stimulant que de projeter dans une salle culturelle classique où l’offre est déjà présente.
Qu'est-ce qui vous a poussé à rejoindre le réseau de la Cinémathèque du documentaire ?
Des partenaires bretons nous ont parlé de la Cinémathèque du documentaire (LCDD) et nous ont proposé de rejoindre le réseau. Après réflexion et une année de préparation, nous avons finalement adhéré. Ce qui nous a surpris et encouragé, c’est de voir une institution fédérant des structures partageant notre intérêt pour le documentaire. À notre arrivée, le réseau comptait une cinquantaine de membres, et nous avons découvert les dispositifs d’aide qui nous ont été précieux. Cela nous a permis de réaliser des projets autrement difficilement finançables et de faire venir des réalisateurs, que nous rémunérons toujours, même en cas de pré-sortie du film, avec une indemnité forfaitaire et les frais de déplacement. Grâce à ces aides, nous avons pu élargir nos rencontres, inviter par exemple les deux co-auteurs d’un film, et démarrer ou compléter le financement de certains projets. Ce soutien de LCDD, représentant 10 à 12 % de notre budget, facilite aussi nos démarches auprès des collectivités et a renforcé notre relation avec la DRAC, l’un de nos principaux soutiens avec le département.
Entretien réalisé par Anne Pomonti, chargée de mission à la Cinémathèque du documentaire
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