Au bord du Canal Saint-Félix, à deux pas du château et de la gare, se trouve l’ancienne usine de la célèbre biscuiterie LU. Désaffectée en 1986, elle deviendra quinze ans plus tard le Lieu Unique, scène nationale et lieu incontournable de la vie culturelle nantaise. Doté d’une programmation documentaire, le LU fait partie du réseau LCDD depuis 2017. Isabelle Schmitt y est en charge de la programmation documentaire et des débats d’idées. Entretien.
Quelques minutes avant l’ouverture du bar qui occupe le rez-de-chaussée du Lieu Unique, quelques personnes attendent déjà devant les portes. À onze heures précises, nous pénétrons enfin dans le grand hall à l’esprit industriel. Les tables en bois se rempliront vite de tasses de café fumant. C’est ici que je rencontre Isabelle Schmitt.
Qu’est-ce que le Lieu Unique et que propose-t-il ?
Le Lieu Unique est un centre culturel contemporain et lieu de vie nantais. C’est également la scène nationale de Nantes. Il propose du spectacle vivant : théâtre, danse, musique ; des créations d’exposition ; des débats d’idées et des projections de documentaires. On y trouve également un bar, un restaurant, une crèche, un hammam, un salon de lecture… Une grande partie de ses propositions sont gratuites.
Depuis quand existe il ?
Le Lieu Unique tel qu’on le connait aujourd’hui a ouvert la nuit du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2000. Jean Blaise est à l’origine de la réhabilitation des anciennes manufactures de biscuits LU en lieu culturel. Créateur du festival « Les Allumées » qui s’est tenu pendant six ans dans les années 90, il cherchait une friche de ce type pour le festival. Nous avions choisi cette ancienne usine squattée par des artistes pour y accueillir les concerts de nuit des Allumées. Ce bâtiment s’est avéré être idéal, à tel point que Jean Blaise, avec le soutien de la ville de Nantes et l’expertise de l’architecte Patrick Bouchain, s’est lancé dans un projet de réhabilitation de cet espace en lieu culturel.
Depuis quand est-ce que le LU s’est doté d’une programmation documentaire ?
Le cinéma documentaire est arrivé dans nos locaux en 2014, sous l’impulsion d’une association de cinéma documentaire qui n’existe plus aujourd’hui. Nous avions alors proposé un focus sur le cinéma belge. J’avais déjà travaillé auparavant sur des projections collaboratives avec le cinéma Katorza de Nantes ou le Festival des 3 continents, mais jusqu’alors, ces projections ne se faisaient pas au LU.
Avez-vous rencontré des difficultés pour introduire le documentaire dans la programmation ?
Le Lieu Unique étant avant tout un lieu de spectacle vivant, il n’était pas identifié par le public comme un lieu de cinéma. Nous avions très peu de spectateurs et spectatrices au début, malgré la gratuité des séances. Comme je tenais absolument à ne pas faire de concurrence aux salles de cinéma art et essai de Nantes (notamment le Cinématographe ou Le Concorde), je me suis concentrée sur les films qui n’ont pas de sortie en salles.
Qui vient voir des films au Lieu Unique ? Reconnaissez vous des visages ?
Au départ, le public était constitué surtout de jeunes retraités. Certain.e.s sont très fidèles et viennent à presque toutes les projections. Petit à petit, de nouveaux publics se joignent. De plus en plus de jeunes viennent aux séances. Ils et elles sont particulièrement sensibles aux thématiques des films et choisissent de se rendre aux projections en fonction. Je me souviens de la fois où j’avais programmé Nos corps sont vos champs de bataille d’Isabelle Solas. La salle était comble. Il n’y avait que des jeunes femmes. Elles découvraient la programmation documentaire du LU pour la première fois. Depuis, j’en reconnais certaines qui ont continué d’assister aux projections.
Aujourd’hui, quelle est la place de la programmation documentaire dans les événements du LU ?
Nous organisons une ou deux projections par mois auxquelles viennent s’ajouter quelques projections de courts métrages en lien avec le programme Questions d’éthiques. Ces séances sont accompagnées autant que faire se peut de la réalisatrice ou du réalisateur et donnent lieu à des échanges.
Les prochaines projections seront celles du Dernier Continent de Vincent Lapize (samedi 2 décembre à 18h30) et L’Hypothèse de Zimov. Retour à l’âge de glace de Denis Sneguirev (jeudi 14 décembre à 19h). Depuis 2019, le LU accueille également le festival Vrai de vrai de la Scam (anciennement nommé les Étoiles du documentaire). Cette année, il aura lieu en mars 2024.
Comment choisissez vous les films que vous programmez ?
Nous ne faisons pas beaucoup de projections, j’essaie alors de montrer des films récents et qui ne bénéficient pas d’une sortie en salles. Il m’importe de sélectionner des films aux écritures et mises en scène exigeantes et variées, qui laissent parfois place à l’expérimentation et brouillent la frontière entre documentaire et fiction. J’apprécie également de montrer des films aux origines géographiques variées. Depuis 2014, nous avons fait un véritable tour du monde cinématographique.
Où découvrez vous ces films ?
Je me rends aux festivals de documentaire : à Douarnenez, au Fema à La Rochelle, et parfois aux états généraux de Lussas et au Cinéma du Réel. J’utilise également la plateforme Tënk. Il arrive aussi que des réalisateurs ou réalisatrices m’écrivent pour venir projeter leurs films. C’est le cas de Cabanyal année zéro de Frédérique Pressman que nous avons projeté en octobre.
Qui se charge de la régie des copies de films et de l’organisation des projections ?
Je me charge de l'ensemble des tâches : la logistique, la régie des copies, l'accueil des invités... Lorsque je souhaite projeter un film je commence par chercher le distributeur. Pour cela, j’utilise Film-documentaire.fr, une mine d’informations précieuses. J’entre en contact avec le distributeur puis je négocie le droit de location. Je réceptionne les fichiers que je donne au régisseur vidéo. Les projections ont lieu au premier étage, dans notre Salon de musique, une petite salle chaleureuse qui sert également aux concerts et débats…
Avez-vous déjà rencontré des difficultés pour trouver les copies de films que vous souhaitiez projeter ?
Je me souviens avoir rencontré des difficultés surtout concernant les sous-titres. Par exemple, il y a quelques années j’ai été contactée par un anthropologue iranien qui souhaitait proposer des films à diffuser au Lieu Unique. Parmi ces films, j’ai eu un grand coup de cœur pour Profession : documentariste réalisé par sept réalisatrices iraniennes. Un film absolument passionnant mais qui n’avait pas de distributeur ni de sous-titres. Nous avons dû le faire sous-titrer nous-même. Cela a pris beaucoup de temps. Ce genre de cas difficile reste assez rare. Les documentaires sont de plus en plus distribués et donc souvent sous-titrés aujourd’hui.
Depuis quand le Lieu Unique fait-il partie du réseau de la Cinémathèque du documentaire ?
Le Lieu Unique a été invité à rejoindre le réseau de la Cinémathèque du documentaire dès sa création en 2017. C’était satisfaisant de voir notre travail récompensé. Aujourd’hui, les aides que nous octroie la Cinémathèque du documentaire nous permettent notamment d’organiser le festival Vrai de vrai dans nos locaux (qui aura lieu en mars ndlr), ce qui serait impossible autrement. Par ailleurs, il est désormais plus facile d’entrer en contact avec d’autres structures de diffusion pour avoir des informations, et trouver des films ou des sous-titres. J’ai beaucoup plus d’interlocuteurs à qui m’adresser pour m’aiguiller. On se sent entouré.
Projections à venir au Lieu Unique :
- Samedi 2 décembre et dimanche 3 décembre (dans le cadre du festival Question(s) d’Éthique) :
Pork and Milk de Valérie Mréjen (Fr, 2004, 52’)
No Tree With Fall de Louise Deltrieux (Fr, 2016, 24’)
Filles d’Iran de Sepideh Farsi (Fr, Iran, 2022, 6’)
Bahman de Sepideh Farsi (Fr, Iran, 2023, 2’)
Notre-Âme-des-Landes d’Alain Damasio (Fr, 2018, 2’42)
Le Dernier continent de Vincent Lapize (Fr, 2015, 77’)
- Jeudi 14 décembre à 19h :
L’Hypothèse de Zimov de Denis Sneguirev
Entretien et photos réalisés par Agathe Boidé, en service civique à la Cinémathèque du documentaire
Date de mise à jour :