CAFE-RENCONTRE #2 : Simon Coulibaly Gillard

A l'occasion de la sortie de "AYA", le 12 octobre 2022, nous avons rencontré le réalisateur Simon Coulibaly Gillard.

Lahou, Côte d'Ivoire. Aya grandit avec insouciance auprès de sa mère. Intimement liée à son île, la jeune fille voit ses repères s'effondrer lorsqu'elle apprend que son paradis est voué à disparaître sous les eaux. Alors que les vagues menacent sa maison, Aya prend une décision : Lahou est son île ; elle ne la quittera pas. Un chemin initiatique s'offre à elle, un chemin vers son identité, un chemin vers elle-même. 

Simon Coulibaly Gillard est né en Bulgarie et grandit en Bretagne. Au terme d'études d'ingénierie mécanique, il vire de bord et choisit de vivre de sa passion pour le cinéma. Tout au long de son master en réalisation à l'INSAS, Simon cultivera une relation très forte avec les hommes et le territoire de l'Afrique de l'Ouest, où il vit et travaille une partie de l'année. Il y tournera tous ses films, seul avec sa caméra et ses micros, accompagné de son assistant, Lassina Coulibaly. 

 

Votre film Aya sort le 12 octobre 2022 dans les salles. Pouvez-vous dans un premier temps évoquer la genèse de ce projet et nous dessiner les contours de l'oeuvre finale ? 

Aya est un film rencontré par hasard. Je travaillais à l'époque sur un scénario qui devait se dérouler en Belgique, dans le monde des courses motocyclistes. Un film fait de feu, d'essence et de goudron. Un certain nombre de difficultés se sont présentées dans la réalisation de ce projet. Après échanges avec les producteurs, j'ai décidé de faire une pause. C'est à ce moment-là que je suis retourné sur le territoire qui m'avait toujours accueilli pour mes films précédents, celui de l'Afrique de l'Ouest. Le repérage se faisait en Côte d'Ivoire. Il a fallu que je tombe en panne devant l'embarcadère d'où partent les bateaux à destination de l'île de Lahou pour trouver le lieu du film. Il m'a semblé d'abord y trouver un paradis avant de découvrir un cimetière que les gens détruisent, avec des masses, pour exhumer les corps de leurs ancêtres et les sauver de la montée des eaux dévorant les tombes. Je décide alors à ce moment de ne pas partir plus loin. Il n'y aura pas non plus de retour en Belgique pour continuer le film en préparation. Je voulais rester là pour témoigner de ce que je voyais. 

Depuis 2013, vous avez réalisé quatre films se déroulant sur le continent africain, des courts et longs métrages. Deux au Burkina Faso avec les Dioulas et les Mossis, un avec les Peuls du Mali et maintenant les Avikans de Côte d'Ivoire. Comment avez-vous choisi ces sujets et à quel moment votre regard s'est-il tourné vers cette région ?

Mon premier voyage en Afrique de l'Ouest remonte à 2004. Le premier avec une caméra se situe en 2007. A votre question, j'ai l'habitude de répondre que c'est par amour pour cette région, les paysages et surtout les habitants que j'ai été amené à faire mes films là-bas et pas ailleurs, malgré plusieurs tentatives. Les personnes avec qui je fais des films sur ce territoire ne les font pas par superficialité ou simple désir d'être aimé, même si ce désir apparaît naturel et motive de nombreux artistes dans le processus de création. Il me semble qu'ils ont un besoin de représentation, qu'ils ne possèdent pas les outils qui sont les nôtres, ceux d'une société de l'image (réseaux sociaux, ...). Il n'y a par exemple pas de réseau d'électricité sur l'île de Lahou. C'est pourquoi je n'ai pas retrouvé ailleurs la façon dont ils s'emparent de ma présence et de celle de la caméra. C'est sûrement cela qui me retient et ramène là-bas. 

Aya est un objet cinématographique assez déroutant, en cela que vous semblez vous tenir à la frontière entre la fiction et le documentaire. Deux formes qui se définissent souvent, dans l'imaginaire commun, par opposition. Est-ce un choix d'écriture présent dès la naissance du projet ou cette forme s'est-elle imposée à vous ?

C'est une question épineuse pour les spectateurs et encore plus pour les distributeurs qui souhaitent classifier et créer des genres hétérogènes. Pour les fabricants, ce qui est mon cas, il n'en est rien. Il n'y a pas de purs documentaires ou de pures fictions. Le scénario documentaire existe avant même la première image, la mise en scène se situe également partout, même s'il est vrai que cette dernière se fait à des degrés différents de la fiction. A titre d'exemple, il m'est difficile de souligner ce qui distingue mes films estampillés documentaires de ceux présentés comme des fictions. 

J'ai proposé ce film en tant que fiction davantage par honnêteté intellectuelle envers Marie-José, l'interprète d'Aya, à qui j'avais pu demander, parfois, de dévier de son propre caractère. De là, il m'est apparu impossible de lui mentir en effaçant la frontière entre le personnage central du film et sa propre personne. 

Pour ma part, la mise en scène se situe dans la liberté laissée à l'improvisation et à l'observation des personnages afin de déterminer leur caractère naturel. Marie-José étant très vive et dynamique, je n'ai fait que tirer les fils de sa propre personnalité et des actions qu'elle aimait faire. Cela lui permettait d'oublier la présence de la caméra. A l'image de son personnage, elle adore aussi créer de petits conflits et naviguer dedans. C'est particulièrement visible dans les scènes où elle mange avec sa mère. A l'intérieur de ces actions, nous glissions donc du texte pour faire avancer le drame de la scène et du scénario. 

Que représente, selon vous, le cinéma documentaire ? Quel rôle porte-t-il ? 

Bien qu'à mes yeux, il ne soit pas opposé à la fiction, le documentaire propose une écriture plus libre d'un film. Il offre la possibilité de réécrire constamment le projet, lorsque le scénario de fiction tente davantage de le verrouiller et de l'emmener vers plus d'efficacité. Derrière la fiction, il y a une volonté d'appliquer une recette. Les différents ingrédients, les personnages, tout est préalablement dosé. Il faut respecter l'ordre de ce "scénario-recette". En documentaire, la remise en question est centrale, que cela soit au moment du tournage ou du montage, ce qui fait naître un processus de création plus intuitif. Un caractère intuitif qui correspond à ma manière de fonctionner. 

L'écriture est aussi quotidienne, en constante évolution, puisque la souplesse de la forme documentaire peut amener à chaque instant un virage dans l'histoire présentée, les personnages ou le drame vécu. C'est pourquoi la compréhension même du film, pour le réalisateur, est tardive. Cette dernière se fait au moment du montage, lorsque le film se termine et qu'il se présente à nous.

De fait, je ne sais pas si le genre documentaire a véritablement un rôle particulier à porter, mais il présente un point commun avec la vie en général, celui de ne pas être destiné. C'est-à-dire qu'il est impossible, pour quiconque, de connaître l'issu d'un documentaire. Il n'apporte pas ce côté rassurant et figé que comprend la fiction.

Ce long métrage agit comme une fresque, au niveau mondial, de la situation environnementale actuelle. Aya porte un regard prophétique sur nos sociétés. On y observe directement l'effet de la montée des eaux et les déplacements de population que cela entraîne. Un lieu historique qui s'efface chaque jour un peu plus. Nous assistons également à une mise en scène aux temporalités distinctes. Lahou, au présent condamné, appartient déjà au passé. L'île ne continue de vivre qu'à travers la mémoire de ceux qui l'ont peuplé. Mémoire qu'ils emportent dans un futur abstrait où ils doivent apprendre à se construire différemment, notamment à Abidjan. Ce film est-il né de vos préoccupations politiques face à l'urgence climatique ?

Il ne pourrait pas ne pas l'être, étant donné que ce sont des préoccupations quotidiennes nous animant. Malgré cela, le coeur de mon désir artistique est davantage de raconter des petites histoires, à l'image du quotidien des habitants de l'île de Lahou. Je qui entré en contact par hasard avec ce territoire en péril, un endroit où il est possible de voir un peuple réenterrer ses morts. Une situation brutale qui a attiré mon regard. Malgré cela, j'ai voulu faire un film plus petit, plus intime, sur la destinée d'une adolescente qui laisse son enfance derrière elle. Ce sable arraché à cette île agit davantage, à mes yeux, comme la métaphore de la fin de cet âgé enfantin, plutôt qu'un grand film écologique et militant. La raison principale à cela est la suivante : c'est un territoire qui, malgré son hospitalité, demeurera toujours étranger à mon histoire personnelle. Dans cette position, il m'apparaît donc difficile de développer une critique sur ce lieu. 

Il y a donc forcément une sensibilité écologique qui essaye de faire son récit à travers le film mais elle n'est pas le moteur premier de ce projet. La défense d'identités et de cultures est à l'origine de mes films. L'envie de montrer des visages, des langues et des regards manquants de représentation afin d'en défendre l'authenticité. 

Nous avons pour idée de terminer ces instants d'échanges par une ouverture cinématographique pour le(s) public(s) qui tente(nt) de s'orienter et d'appréhender ce qu'est le "cinéma du réel/ciné-oeil". A ce titre, avez-vous trois films documentaires qui vous ont marqué et que vous voulez transmettre ? 

Une fois encore, les films que je vais évoquer sont assez hybrides. Il y a par exemple Le quattro volte de Michelangelo Frammartino, un auteur calabrais. Un film magnifique, à la forme très libre où le personnage principal est une chèvre. C'est cette oeuvre qui a fait naître une certaine distance chez moi vis-à-vis de ce que j'avais appris à l'école, au profit d'une pratique qui m'était propre.

Il me vient également Cesar doit mourir des frères Taviani. Un film qui se déroule dans la prison de Rebibbia, à Rome, questionnant la notion et le rôle de la représentation. A-t-on le droit de représenter des détenus ? Ont-ils le droit de se représenter au monde en sachant que leur identité leur a été ôtée ? Un film d'une complexité profonde mais nécessaire. 

Pour terminer, j'aimerais parler de The other side de Roberto Minervini. Il s'agit là encore d'un film italien, sûrement par sensibilité personnelle vis-à-vis de la langue ou, dans ce cas, puisque le documentaire est en anglais, du regard des auteurs de ce pays. Dans un territoire invisible, le réalisateur souligne la menace pesant sur l'ensemble d'une communauté : celle de tomber dans l'oubli. 

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